Le vrai clivage : secteur exposé ou protégé

Le vrai clivage : secteur exposé ou protégé

Autant sont intéressants les chiffres et les commentaires de Jean Rouxel (n° 1256), autant il est inquiétant que son éditorial débouche, une fois de plus, sur cette idée-serpent-de-mer qu’est l’entente à droite.
Cette idée repose sur une erreur d’analyse car les clivages qui orientent les opinions, dans le cadre de sondages, de discussions de comptoir ou d’empoignades familiales de fin de repas, et qui créent cette illusion d’une majorité de l’opinion à droite, ne recouvrent en rien ceux qui pilotent les bras des mêmes personnes lorsqu’elles déposent un bulletin de vote !
Droite-Gauche, Mondialiste-Sou­verainiste, Conservateur-Pro­gressiste, tout autant que le subtilissime Centre Droit-Centre Gauche, toutes ces oppositions ont leur intérêt en termes d’analyse et de discours, mais ne résistent pas au moment de voter à la pression de clivages beaucoup plus profonds.
Sinon, les Français se seraient débarrassés depuis longtemps de tous les élus qui les ont trahis en appelant à des manœuvres contre nature de type « fronts républicains », désistements pour éviter des triangulaires ou appels directs à soutenir les candidats qu’ils combattaient la veille.
Le clivage qui semble devoir être clairement envisagé aujourd’hui, c’est celui qui correspond à la fracture existant réellement entre une portion de la population dont l’emploi et le train de vie sont « protégés » par le système et une autre partie de la population, que nous pourrions appeler « exposée », qui ne peut rien attendre de l’État en cas de difficulté.
Dans une société où le chômage frappe 10 % de la population, voter sur la base de valeurs ou de convictions est un luxe que tout le monde ne peut pas s’offrir.
Aussi, entre le salarié d’une entité du CAC 40 pour laquelle, en cas de gestion calamiteuse, l’État garantit « qu’il n’y aura pas de licenciements secs » et le titulaire d’un emploi à vie dans une des trois fonctions publiques, existe, électoralement parlant, une proximité qui rend inopérant dans l’isoloir le fait que l’un se réclame d’une sensibilité plutôt de droite et l’autre plutôt de gauche.
Si une entente est à mettre au point aujourd’hui pour arrêter la dégringolade du pays, ce n’est pas une entente « à droite » ou « des droites », mais celle que la classe jacassante considère, non pas comme la légitime expression d’une partie de ses concitoyens, mais comme une maladie mentale en la stigmatisant sous le nom de « populisme » : une alliance de tous les exposés, c’est-à-dire oubliés de l’aide de l’État.
Cela va du berger exposé aux loups à l’ostréiculteur exposé aux dégazages, de l’éleveur exposé aux sanctions anti-Poutine à l’agriculteur qui ne s’est pas encore suicidé, de l’artisan exposé aux obligations de mises aux normes incessantes au buraliste exposé aux braqueurs, de la famille qui n’a pas les moyens de s’exfiltrer d’une zone de non-droit au petit commerçant dont la vitrine et le chiffre d’affaires sont exposés aux black blocks et aux racailles, etc.
Sans qu’il soit pour autant justifié d’aller au combat sur un ton « lutte des classes » contre leurs concitoyens protégés, les oubliés pourraient voir grossir leurs rangs de tous les électeurs de LFI soucieux de justice sociale, sans être pour autant drogués au marxisme, de ceux des droites de conviction trompés par la droite CAC 40 pour laquelle ils votaient par erreur, et de ceux pour qui « droite » et « gauche » ne signifient rien, mais qui ne croient plus au vote à force d’entendre des promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent.
Si aucun leader hors système ne réussit à contractualiser une alliance tactique « populiste » ou « populaire » d’ici 2022, fondée sur le clivage protégé-exposé, l’élection présidentielle ressemblera à celle de 2017 et les Français se seront offerts 5 ans de plus pour râler et rire jaune, avec ou sans gilet.

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Comments (1)

  • quinctius cincinnatus Répondre

    oui il s’ agit bien là d’ un véritable clivage

    il ne devrait pas exister de ” secteurs ” ( et de gens ) protégés

    26 août 2020 à 8 h 23 min

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