Le militantisme de la Ligue du Nord devrait inspirer la droite française
La Ligue du Nord est ressortie comme le grand vainqueur des élections régionales italiennes.
Elle a non seulement gagné les deux régions les plus riches de l’Italie, dont la Vénétié, mais aussi l’ancien fief du parti communiste, l’Emilie
Romagne.
Elle doit en partie sa victoire à sa proximité avec le terrain et à son effort militant
:
“Au lendemain
de ses victoires en Vénétie et dans le Piémont, la Ligue veut systématiser la recette de son succès : forte présence des militants sur le terrain et formation des cadres,
comme le faisait autrefois le Parti communiste italien. Donato Trevisan a eu l’idée de ces “cours du soir” hebdomadaires : “Il faut d’une part expliquer que le
fédéralisme est consubstantiel de notre histoire, et la faire connaître à la base du parti. Chacun des présents de ce soir est un missionnaire chargé ensuite de reporter ce qui
s’est dit aux autres militants. C’est une sorte d’évangélisation.”
Les participants prennent très sérieusement des notes. En face, trois orateurs. Francesco Speroni, député
européen, Fabio
Ronchi, jeune diplômé en sciences politiques avec une thèse sur le mouvement autonomiste
lombard, et Stefano Bruno Galli, professeur d’histoire des doctrines politiques à
l’université de Milan, devenu un “intellectuel organique” du parti.
Pour La Ligue du Nord qui a fait de la réforme dite du “fédéralisme fiscal” le coeur de son
engagement au sein du gouvernement, l’enjeu est double. Expliquer une réforme qui sera longue et compliquée à mettre en place et enraciner le parti dans une filiation quasi
millénaire. De Alberto da Giussano, héraut de la révolte des Lombards contre Frédéric 1er dit “Barberousse”, au XIIe siècle, à Umberto Bossi, le fondateur de la Ligue du Nord en 1989, huit siècles d’histoire. “L’arrivée de nouveaux
sympathisants, y compris en deçà du Pô, rend nécessaire cette démarche. Le parti change, explique encore M. Trevisan. Les gens qui le rejoignent n’ont pas forcément connu cette
histoire.”
M. Galli fait défiler un à un les inspirateurs du “légisme” comme on rend hommage aux pairs de la patrie. Après
Giussano, voici Carlo Cattanaeo, patriote et républicain du XIXe siècle opposé
à l’Etat-nation ; viennent ensuite les années 1930 et la notion de personnalisme portée par le mouvement Ordre nouveau animé par Denis de Rougemont et Alexandre Marc ; puis
la guerre et la résistance valdôtaine autour d’Emile Chanoux, ardent
défenseur des minorités linguistiques du val d’Aoste. Surprise : voilà encore le Français Guy Héraud,
spécialiste de minorités européennes et candidat à l’élection présidentielle de 1974, où il obtint 19 255 voix, soit 0,07 % des suffrages au 1er tour. Arrive Umberto Bossi qui, un jour
de 1969, rencontre un disciple d’Emile Chanoux… la boucle est alors bouclée.
Dans la salle, Oreste Pozzoli, venu du village de Chiavenna dans la province de Sondrio, fait chaque jeudi le voyage jusqu’à Milan. Le lendemain,
il débriefe les 300 militants de la section dont il est le secrétaire. A 25 ans, tout au plus, on se demande un peu ce qu’il fait là au lieu de consumer ailleurs
sa jeunesse. Réponse : “J’ai besoin d’approfondir cette histoire. C’est la base de ce que nous faisons aujourd’hui. A la Ligue, j’ai trouvé tous les idéaux qui me
plaisent.” Lesquels ? “L’indépendance de notre région et le fédéralisme : nos ressources doivent rester sur le territoire.”
C’est à Francesco Speroni, ancien ministre et sénateur qui fut aussi l’assistant parlementaire et le directeur de cabinet de Umberto Bossi, que
revient le soin d’évoquer le fondateur du mouvement. De ses premiers succès des années 1980 à la place prépondérante qu’il occupe aujourd’hui dans la coalition de Silvio Berlusconi
: “On peut faire de la politique avec des idéaux, dit-il, mais le plus important c’est de faire partie
d’une majorité.”
Peut-être en raison de la présence de l’envoyé spécial du Monde, une question vient à point pour
tenter de balayer un doute : “Comment est perçue la Ligue au Parlement européen ?” Réponse du député : “On s’intéresse plus à Le Pen qu’à nous, explique M.
Seperoni. Mais nous n’avons rien à voir avec l’extrême droite. Nous sommes eurosceptiques, mais nous avons voté en faveur du traité de Lisbonne au Parlement italien. On nous étiquette comme
racistes, mais, dans notre groupe (Europe of Freedom and Democracy), il y a un parlementaire d’origine maghrébine et un autre d’origine sénégalaise.” Pas un mot sur ses
collègues Matteo
Salvini et Mario Borghesio, qui défraient régulièrement la chronique par leurs propos xénophobes.
C’est à ce moment-là que la voisine du dessus est intervenue. “C’est un coup des cathocommunistes”, a
grogné une militante. Mais comme les autres, elle a quitté la salle. A regrets.” Le Monde