Rien à croire

Rien à croire

“Il faudrait montrer comment le nihilisme passif impose aujourd’hui le terrorisme du Bien comme ultime valeur sur la ruine définitive des valeurs.
Comment la vision morale est en train de triompher médiatiquement et pourquoi celle-ci, dans sa toute-puissance, est le prolongement visible et paradoxal du “grand” nihilisme
rageur et délirant que tout le monde s’accorde fort heureusement à condamner.

Le terrorisme du Bien est infiniment plus difficile à définir, à placer dans la lumière d’une tentative de connaissance que tous les autres. Il est beaucoup plus
irréfutable. (…)

il est là,en tout cas, dans le discours de l’air du temps, c’est une ambiance, une musique, quelque chose de plus ou moins impalpable, vaporeux, envahissant,
inattaquable. Il suffit pour s’en convaincre, d’ouvrir sa télé (…)

La bienfaisance universelle pourchasse les arrière-pensées. Les ligues de vertu rajeunies par les médias vous somment de ne plus être négatif, vous encouragent à
avancer positivement, comme tout le monde, dans la méconnaissance des illusions de l’espèce. (…)

On pourrait se demander par exemple si quelqu’un comme Bernard de Mandeville, auteur en 1714 de la Fable des abeilles, sous-titrée Vices privés, vertus
collectives
ne serait pas obligé de se rétracter à  nouveau devant les tribunaux pour avoir évoqué en passant l’idée que la prospérité d’une civilisation pourrait bien résulter, non de
la vertu ou de l’abnégation de chacun, mais des vices, de l’égoïsme, du besoin de luxe et de la corruption…

 

L’Etat sera de plus en plus tyrannique, certes, mais une autre tyrannie spontanée, une nouvelle institution persécutrice est en train de s’installer tout doucement :
l’ère des bons sentiments, où quiconque osera émettre une opinion discordante, non alignée, pas aux normes hygiéniques et idyllliques, se retrouvera en état d’accusés au nom de l’intérêt
général.
Et pour le supplément d’âme dépressif, que l’on ne s’inquète pas trop, nous avons tout ce qu’il nous faut chaque année : des tas de romans mélancoliques, tendres, pensifs,
brumeux, affectueux, poétiques, caritatifs, féminins, pathétiques, lyriques (…) dont les médias sont là pour faire la promotion entre deux répercussions d’indignation, deux débats, deux
chromos, deux canonisations de vedettes trop tôt disparues.(…) Philippe Muray, Circulez, y a rien à croire, 1987.

 

 

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