Vivre crade à Paris

Vivre crade à Paris

Je ne me rendais plus à Paris depuis des années. Des affaires m’y appelaient cette fois, comme on dit, et aussi mon voyage de noces qui, situé en France, se devait d’y passer.

Après trois ans, comme dit Verlaine, j’ai poussé la porte qui chancelle, celle d’Orléans ou d’Auteuil, et j’ai vu que ma bonne ville ne cessait de changer, c’est-à-dire d’empirer. Paris est de plus en plus sale, de plus en plus déserte (mais Nabokov dénonce déjà la crasse et la monotonie de la ville à lumière glauque) de plus désertifiée et possédée par les rondes de touristes, dont le statut même à changé.

On n’est plus à l’époque du tourisme romantique et aisé, d’Audrey Hepburn ou de Fred Astaire qui danse en voyant passer une vache dans la cour, on est devant de milliers de bus qui déversent leur flot de touristes émergents venus de partout, Russie, Mexique, Inde, Brésil ou Chine communiste. Notre Dame est une gare routière à la perpétuelle heure de pointe.

J’ai été logé par un vieil ami dont je recommande encore le spectacle (Pierre Méchanick, le Chemin des Dames, au théâtre de la Vieille grille, le 11 novembre à 18 heures), et qui a été délocalisé trois fois en moins de dix ans. On passe ainsi de Nation à Vincennes, puis Montreuil. D’humeur nostalgique, je suis repassé rue Verneuil, où je vivais et écrivais mes premiers livres, publiés il y a quinze ans. A l’époque, presque face à l’hôtel particulier de Gainsbourg, je louais un petit trois pièces pour 5 000 francs. Aujourd’hui le deux pièces vaut 1 500 euros à saint-Germain des prés, et d’ailleurs dans presque tout l’espace parisien.

Rue de la Roquette, une des plus sales et sinistres qui soient, on voit des hôtels deux étoiles proposer des chambres à 300 euros. Mon éditeur vit maintenant rue Bonaparte, et la surprise vient non tant du loyer exorbitant que de la crasse et la misère de ces immeubles qui n’ont pas été ravalés depuis Balzac ou depuis Haussmann. Les cages d’escalier, si bien nommées, sont une honte pour les yeux. Dans les chambres de bonnes à 600 euros (60% du SMIG tout de même !) on loge les jeunes avocates. Elles aussi ont succombé à l’inflexible sévérité des maîtres carrés.

Plus de jeunes, plus d’artistes, plus d’écrivains, plus rien

Tout est à l’avenant : le métro qui a triplé de prix, est plus lent qu’il y a trente ans. On y voit des troupeaux bien résignés, sapés comme dans le Moscou postsoviétique (celui de 89, pas d’aujourd’hui), contempler avec euphorie leur poids pour oublier leur voyage au bout de l’ennui.

Ma femme s’étonne de voir des tas de filles circuler à vélo au milieu de la nuit. Mais ont-elles le choix ? Les bus bloquent (inoubliable dimanche du patrimoine, avec la ligne 63 carrément immobile et bondée boulevard saint-Germain), les taxis s’enlisent avec délectation dans les embouteillages pour la modique somme de quarante euros qui ne mènent nulle part, et il ne reste pour se déplacer que ses muscles. On comprend que les Français excellent aujourd’hui aux championnats d’Europe d’athlétisme… et qu’on ne voit guère de gros dans notre bonne ville transformée. Il vaut mieux ne pas occuper un mètre carré au sol, telle est la loi des camps.

La folie immobilière n’est pas une condition du développement économique ; mal anglo-saxon, c’est-à-dire spéculatif par excellence, elle est au contraire une condition de l’extinction de l’économie. A Curitiba, une des capitales économiques du Brésil, on se loge dans du neuf pour mille euros du mètre, pas quinze mille. Et on a 7% de croissance.

Si l’on regarde bien des résultats récents de l’Europe, on verra que les économies latines et catholiques ont été immolées sur l’autel de l’immobilier. La base de l’hitlérisme était d’ailleurs une volonté d’opération immobilière : transplanter des germanophones (des touristes et investisseurs hollandais, danois, bavarois…) en Crimée et en Ukraine. Faire du vide, non à coups de prix, mais de mitrailleuses, pour faire venir des communautés plus politiquement correctes. La logique est la même.

Au prix du Paris de Delanoé, on comprend qu’il n’y ait plus de jeunes, plus d’artistes, plus d’écrivains, plus rien. Il y a la race supérieure des maîtres carrés et la race des esclaves qui vivent dans les souterrains comme dans Métropolis. C’est l’observation que je me faisais devant l’hôtel d’Aragon et Picabia, près du passage d’Enfer. Ca coûte combien le mètre carré, en Enfer ? Nicolas Bonnal pour les 4 Vérités

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