Assimilons les mots immigrés

Assimilons les mots immigrés

Il est, dans notre langue, des mots étrangers tellement bien intégrés qu’on ne les remarque pas : échoppe (du vieux néerlandais schoppe) par exemple ou redingote (de l’anglais riding-coat). D’ailleurs, ils abondent.

Il en est d’autres, en revanche, dont les pédants s’ingénient à refuser la bonne assimilation en revendiquant ce sacro-saint droit à la différence que la pensée unique invoque tant et pratique si peu.

Ces puristes affectent en particulier d’appliquer aux mots importés la règle du pluriel de la langue d’origine. Ils réintroduisent même son usage de force lorsque celui-ci tombe en dé­suétude. Les scénarii se répandent ainsi au détriment des scénarios et les maximums font place aux maxima. Ne parlons pas même des imprésarios, puisque les impresarii s’effacent à leur tour devant les coachs ou même les coaches, impérialisme anglo-saxon oblige.

Les lieder germaniques quant à eux (qu’une oreille peu exercée ne manque pas de confondre avec les leaders britanniques), aussi bien que les länder n’ont jamais accepté d’être remplacés par des lieds et des lands, pas plus que les tennismen et les gentlemen de l’être par des tennismans et des gentlemans.

N’oubliez pas non plus que, de son côté, le carbonaro, quand il conspire, se réunit à d’autres carbonari et que, s’il mange une pizza, il la préfère carbonara. Et, si vous ne voulez pas paraître illettré, ne parlez pas d’un Touareg mais targuez-vous d’un Targui. Référez-vous doctement à des referenda plutôt qu’à des référendums.

Heureusement, ces docteurs Folamour de la grammaire semblent avoir renoncé jusqu’à présent à ce que des médiums soient des média et à ce qu’un média soit un médium. Vous me suivez, j’espère !

Alors vous serez convaincu comme moi de la nécessité de lutter contre le parti de l’étrange pluriel, et cela non pas – Dieu m’en préserve – par une haïssable xénophobie grammaticale mais par simple souci de ne pas compliquer la tâche de nos petits écoliers et de leurs valeureux instituteurs. À ce propos, pourquoi nos simplificateurs d’orthographe ne se font-ils pas plus entendre sur le sujet ? Voilà pourtant un combat digne de leur si ardent réformisme.

Moins graves mais plus étonnantes sont les dérives dans le graphisme de certains mots. Avez-vous remarqué que l’Ara­bie d’Ibn Séoud, logiquement séoudite, devient de plus en plus fréquemment saoudite, de telle sorte qu’en adoptant le « a » anglo-saxon, évidemment prononcé à la française par monsieur Toulemonde, l’orthographe de nos deux langues se rapproche tandis que la prononciation s’éloigne. Les partisans cosmopolites d’un anglo-volapük mondial ne peuvent pas même trouver là un argument en faveur d’une meilleure compréhension entre les peuples.

Terminons par les prénoms. Le brave Mahomet, bien intégré depuis des siècles, revient en force dans certaines publications orientalistes sous le voile d’un Mohammed beaucoup plus exotique et surtout plus facile à confondre avec ses nombreux homonymes de nos banlieues. De même, il est courant, à l’image de George Sand, de refuser leur « s » aux Georges britanniques. On se demande enfin pourquoi les ancêtres de Juan Carlos s’appelaient Charles de I à IV et pas lui, pourquoi Angèle d’outre-Rhin nous est présentée comme « an-gué-la », pourquoi Nétanyahou se prénomme « benne-ya-mine » et non pas, comme dans la Bible, Benjamin, ou Walesa Lech et non pas Luc, comme dans l’Évangile. Pitié, encore, pour nos enfants !

Il est vrai que Marx ne s’est jamais appelé Charles, ni Hitler Adolphe, pas plus que Freud Simon. C’est d’ailleurs tant mieux : au moins tout le monde sait ainsi que notre chère patrie ne les a pas enfantés.

Ceci m’amène à conclure, en changeant de sujet pour aborder celui de l’identité nationale, fort à la mode en ce moment, qu’une mesure simple et peu coûteuse d’assimilation de nos jeunes bambins issus d’ailleurs serait de les prénommer Pierre, Paul ou Jacques plutôt que Saïd, et Amédée plutôt qu’Ahmed ou Alain plutôt qu’Ali. Ce serait au moins un signe de bonne volonté de la part de leurs parents.

Personne ne me tiendra rigueur, j’espère, ni ici ni à la Halde, de préférer le gazole au gas-oil, le Cambodge au Kampuchéa et Adjani à Dati, ou plutôt, vous m’avez compris, Isabelle à Rachida !…

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Comments (3)

  • siniq Répondre

    Comme le mot soumission et soumis,, pour certains c’est déjà fait.

    17 mars 2010 à 18 h 27 min
  • Gantelet Répondre

    Si j’adhère entièrement au fond du texte, la forme quant à elle m’échaude plutôt car s’il y est question de clarté, d’une certaine cohérence technique de la langue, du respect des règles – oui, je suis cent fois acquis à cet argument, les accords des mots étrangers suivant le système de leurs origines sont des pédanteries révélatrices d’une ignorance crasse des règles du bon français – pourquoi exprimer cela non par un texte limpide, mais par un catalogue d’exemples parfois tirés de loin ? Pourquoi ne pas préférer l’expression légère et incisive, aux formules alambiquées et j’ose le dire, à un certain degré de gongorisme ? De même qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigres, on ne convainc pas ceux qui se sont laissés aller à de mauvaises habitudes d’expression par un étouffe chrétien littéreux.

    16 mars 2010 à 7 h 55 min
  • Anonyme Répondre

    Assimilons les mots immigrés… Pourquoi pas (à défaut d’être capables d’assimiler les émigrés eux-mêmes)? Mais auparavant ne laissons pas notre propre langue aller à veau l’eau, contrairement à ce qui a lieu en bien des circonstances et de la part de ceux qui devraient être les premiers à y veiller. Ainsi pour les commentateurs (ou speakers) de notre TV (télévision) nationale, les tomates ne se broient plus, elles se concassent comme le persil qui ne se hache plus mais se cisèle ; les nuages ne se dissipent plus, ils se désagrègent, etc.

    12 mars 2010 à 21 h 30 min

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