Célébration du pape François et du génie de l’Argentine

Célébration du pape François et du génie de l’Argentine

 Et une grande foule le suivit, parce qu’ils voyaient les miracles qu’il faisait sur ceux qui étaient malades.

 Il y a un moment où l’on chérit le ciel d’être catho, pour s’exprimer comme Eux. Même la Bête est impuissante si elle piaffe de rage. Voyez ce bain de foule, voyez ces pauvres gens. Que peut-on dire à un handicapé qui demande sa bénédiction au Saint-Père ? D’aller se faire voir ? Que peut-on dire aux deux cent mille personnes qui envahissent la place Saint-Pierre pour voir le premier pape latino-américain ? D’aller se faire voir ? Que peut-on dire à un pape qui aime les pauvres ? Que les pauvres votent Front National ou Beppe Grillo et qu’ils en ont marre des journalistes, de Goldman Sachs et de la BCE ?

C’est ici que, quittant l’écrasante domination intellectuelle de Benoît XVI, renoue avec son message contre-révolutionnaire et révolutionnaire (Chesterton doit se retourner de joie au ciel)  et qu’elle défie, suprême Nef, une société qui laisse deux milliards d’hommes sans eau courante tout en filant 450 millions à Tapie et en volant l’épargnant chypriote, taxé de riche par une presse aux ordres qui va aussi décréter le nouveau pape collabo d’une dictature alors aux ordres de Kissinger, après avoir décrété l’ancien pape nazi… Mais faites interdire l’glise, si cela vous fait peur à ce point ! Le combat devient cosmique vraiment. En tout cas le choix du nom, la cible proposée et l’échec cuisant des offensives bâclées (on n’a même pas attendu trois minutes !) sont une triple victoire pour les Nôtres. Mais j’en ai tellement marre de cette mauvaise foi –comme le mot est bien choisi –  que je fais des ronds dans le sable, comme Lui, et que je vais parler plutôt de mes voyages sans retour et de mes longs séjours en Argentine. Cent nuits de bus la première année, sans louper une messe.

Je suis arrivé en Argentine en novembre 2003 et j’y suis resté au total trois ans, en partant, en revenant, parfois dans la même journée : on peut filer en Uruguay voir la superbe Colonia del Sacramento, un des innombrables joyeux portugais semés aux quatre coins du monde dans la grandeur de ce petit empire. Quand on voit ce que l’Europe a fait au Portugal, on rêve de temps plus coloniaux, plus royaux, plus chrétiens tout de même.

Colonia del Sacramento, quel beau nom défiant tout. Et Buenos Aires aussi, quel beau nom bien avenant. Je me souviens de la bonté insolente, comme disait un copain suisse, de la population fauchée, de la beauté du ciel, et d’une vie bon marché et de qualité comme jamais on n’en pourrait rêver. Evidemment cela n’allait pas durer avec l’inflation verbale et financière des années Kirchner.  On imprime des billets sur ordre des syndiqués, on tape sur le clergé et les fermiers et les contribuables, et il y a du coup 900 milliards hors d’Argentine et l’on change en catastrophe ses pesos dans la rue à la moitié du prix, à ses risques et périls. Ceci dit, cela reste un bon pays à visiter, un pays que je n’avais jamais eu la chance de visiter avant, à cause peut-être de Borges qui était un aveugle et ne nous décrit rien de sa terre, ou bien de Cortazar pour qui être argentin « c’est être loin et triste », et puis c’est tout. Ils auraient pu nous parler d’Iguaçu (j’y ai vécu six mois, publié un recueil de  contes en trois langues), de Mendoza, de Calafate ou bien de Bariloche, et ne le firent pas. Un mauvais point pour la littérature encore une fois. Même si Borges est mon génie jamais lâché, le seul que je lise encore sur du papier, le prophète de ce monde virtuel et cabalistique dans lequel nous flottons maintenant.

Le pape est bien inspiré de défendre les pauvres là-bas. Ils ont en effet de la gueule, les pauvres, et ils prennent de vrais risques. Ce ne sont pas des assistés, les pauvres. Il y a les villas où œuvra le Saint-Père, et ma première Villa fut la villa Soldati, dans laquelle je m’étais risqué sans flair, croyant au départ qu’il s’agissait d’un maigre quartier résidentiel pour cela. Il y a Recoleta bien sûr, Belgrano bien sûr, mais surtout Melian, au nom si digne de Tolkien, avec des maisons pharamineuses). Les villas – il y en a une près de Retiro, la grande gare routière – sont pleines d’immigrés latinos, de boliviens, de péruviens, d’indiens pauvres et vite exploités par les patrons des sweat-shops comme on disait jadis. D’un autre côté, ils vivent sans nos règles ou du moins avec les leurs. J’ai connu ainsi des analphabètes, des aventuriers, des revendeuses de sparadrap, des baragouineuses (je dus un jour payer des glaces à toute une troupe), des marginaux, des voyageurs, des illuminés, tout un monde peu banal qui vaque au creux de la vague épuisante de la mondialisation. C’est ici que ce pape officiait, se sentant mieux parmi ces pauvres qui n’ont rien à avoir avec les nôtres, puisqu’ils parient avec la vie, n’attendent rien du système, se promettent un meilleur monde dans une autre vie, la vraie.

La grande nouveauté quand on arrive là-bas tout de même, c’est que l’on reste entre chrétiens. Faudra t-il s’y réfugier dans un futur pas trop lointain ? On n’est pas dans le Babel Oued mondialisé, où l’on vend tout et ne fabrique rien, bachi-bouzouk artisanal, celui du bazar, du magasin, du souk, du kiosque, tous mots musulmans qui se préparaient si bien à nous conquérir. A cette époque aussi je lus dans la presse à Salta que l’archevêque local recommandait une bonne natalité à ses ouailles sans quoi ils connaîtront une invasion musulmane… comme la France ! Que va faire Obama ? Vous imaginez le chœur de protestations dans l’ex-fille aînée de l’Eglise muée en Hexagonie de carton-plâtre ? On envoie l’OTAN ?

Le charme de l’Argentin est fait de contradictions, de paradoxes, de poésie gauchesque et de mondialisme affairé : en 1900, Buenos Aires est une des plus belles villes du monde, elle est fière et  déborde de monuments, de jardins, d’énergie, de psycho-géographie comme on dit. C’est le grand Charles Thays qui dessine les jardins de la capitale comme ceux fantastiques de Mendoza (on se croirait au bois de Boulogne, imaginez à l’époque !) qui nous rendent nostalgiques plus qu’ailleurs, nous Français. L’Argentin s’est fait au monde moderne mais il ne s’y est jamais soumis, il avait trop d’énergie, de chrétienté et puis d’indianité pour ça. Le maté, le bife de chorizo et la guitare sont plus fort que ça. C’était un rebelle, comme ce pape qui choisit un nom pour défier le monde moderne, ses montagnes de dettes et de bêtise, son arrogance techno et sa misère humaine.

On continue sur le pays du pape. On sort de Capital Federal, monstre aux quatorze millions d’habitants et l’on découvre la nature : habemus pampa !

Plusieurs lecteurs m’ont demandé un  jour des conseils pour l’Argentine, un pays grand comme sept fois la France mais plus varié que l’Amérique (voyez les canyons de Talampaya, pour voir). Je déteste en donner, c’est pire que les lectures.

Pour sortir des sentiers battus de la Patagonie (j’y suis allé sept fois tout de même), un peu de Mésopotamie et de rêverie carnée entre Rosario et Santa Fé (quels beaux noms tout de même) ; un peu de poésie entre Tafi et ses monolithes, Cafayate et San Salvador de Jujuy avec ses sierras et ses forêts tropicales, ses étranges  forêts de yungas. Revoyez Bariloche, le plus beau lac du monde, le Nahuel Huapi, enfoncez-vous dans les bois magiques, les alerces d’Esquel.

Et découvrez surtout Pigué la plus belle petite ville française au sud de la pampa, près de Bahia Blanca. Pigué est un bijou ignoré, peuplé de basques, d’aveyronnais (les fondateurs), d’Italiens, d’Allemands de la Volga… et de Français (200 000 immigrants en Argentine tout de même). On y ressent la France et l’on ressent l’Ailleurs. Le cimetière aussi est fabuleux. Toute une intensité lointaine, l’aventure hauturière mais sans rien d’exotique et factice. Allez donc à Pigué, chers lecteurs, demandez-y Gustavo, agent immobilier et directeur des amitiés francophones, et achetez-vous un terrain avec une petite maison bien cossue. Tout le monde y a six enfants, c’est la meilleure terre du monde. C’est toute cette intensité que j’ai sentie lorsque ce pape est apparu. Oh, oh, me suis-je, on va découvrir l’Argentin, là. Le système n’est pas au bout de ses peines, et l’oppresseur non plus. J’ai repensé au Martin Fierro, l’épopée nationale argentine, et qu’adorait Borges (j’en parlerai une autre fois), le plus beau livre en octosyllabes du monde depuis le Perceval de notre Chrétien de Troyes (tout aussi frais). Je cite, on comprendra cet espagnol tombé du ciel :

 Pido (je demande) a los santos del cielo

Que ayuden mi pensamineto ;

Les pido en este momento

Que voy a cantar mi historia

Me refresquen la memoria

Y aclaren mi entendimiento.

 On souhaite une longue vie au pape. l’glise du pauvre a repris l’initiative au cours de la semaine chypriote qui explique au Ran-Tan-Plan à quelle sauce on va être croqué par la Rand Corporation et la smalah d’Abdel Bankster… Mais quel honneur de revoir l’Argentine en chair et en os comme cela. On  ne revit pas deux fois ces voyages. L’Argentine c’était plus de lumière. Lui aussi.

 

Or ils disaient cela pour l’éprouver, afin qu’ils eussent de quoi l’accuser. Mais Jésus, s’étant baissé, écrivait avec le doigt sur la terre.

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