James Dean, la Fureur de mal vivre et le déclin de l’occident

James Dean, la Fureur de mal vivre et le déclin de l’occident

On fait souvent de grandes théories sur le déclin des civilisations, notamment de la nôtre, qui ne produit ni Mozart, ni Jeanne d’Arc, ni Racine. La vérité est parfois toute simple : on a parlé des marmites à plomb pour la baisse de la natalité dans l’empire romain, on peut aussi parler du progrès technique et de la médecine, du vieillissement et de l’enrichissement global. On peut aussi invoquer un certain triomphe de la paresse intellectuelle et spirituelle qui voit un individu à la vie longue s’ennuyer, se distraire, s’ennuyer encore et durer, sans plus poser de questions.

On ne peut certes pas reprocher à James Dean d’avoir trop duré. Pourtant, il avait assez duré dans la mesure où il avait délivré son message, celui de l’insatisfaction comme marchandise (Debord), de l’ennui existentiel et de la rodomontade creuse qui est le propre de la Fin de l’Histoire. Dans le grand classique de Nicholas Ray, le Rebelle sans cause, pompeusement traduit en français par la Fureur de vivre, on se trouve en présence de tous les ingrédients en tout cas de notre grande décadence, qui devient aussi interminable et aussi dure que la romaine, en termes de spectacles allongés et de médiocrité culturelle. Ce catalogue du mal de vivre en technicolor balaie en tout cas toutes les vétilles de la télévision contemporaine sur le sujet.

Qu’on en juge :

  • On découvre que la jeunesse s’ennuie, qu’elle ressemble plus à son temps qu’à son père (Debord, toujours), qu’on ne la contrôle plus ! Elle ne plus peut communiquer avec ses « vieux », comme on dit. Alors elle traîne en bande, défie l’autorité, fait des bêtises. On est en 1950, l’âge d’or de l’Amérique, comme on dit, ou comme on croit ! Les fameuses bandes terrorisent la contrée, comme dans le célèbre film de Brando l’Équipée sauvage, qui masque le vide existentiel sous la casquette et le blouson de cuir ! Et sous le bruit pétaradant aussi, obsession contemporaine.

  •  On découvre aussi l’affaiblissement du lien familial avec la mère, hystérique permanente, et le père lâche. Il y a quelques années, le jeune Taillandier avait publié un beau sujet sur les parents lâcheurs. Lui-même avait refusé de défendre son bouquin chez Pivot, alors que tout le film de Nicholas Ray lui donnait raison : au pater familias a succédé un pleutre. James Dean se bat même sur le tapis de la salle à manger avec son père. Qui oserait une telle scène aujourd’hui ?
  •  On a deux images redondantes d’espaces compromis dans ce petit chef d’œuvre : l’observatoire et la piscine. Le ciel et l’eau. Le père et la mère (ou la terre), comme on dit dans le yi-King ! Le jeu sur les lieux dont Ray est un manipulateur de génie (pensez au casino-caverne viennois de Johnny Guitare…) introduit une réflexion magnifique sur le vide des temps sans Dieu : à la conférence sur l’observatoire, un vieux prof grincheux, scientifique sorti de Bouvard et Pécuchet, explique que nous sommes seuls dans l’univers et que l’humanité disparaîtra dans un atroce silence et une colossale indifférence : « le silence éternel de ces espaces infinis » ne m’effraie plus, il me démoralise ! Or, à ce moment, Dean joue avec le zodiaque et le western et il produit un son de taureau qui va entraîner le duel et tous les ennuis ultérieurs.

L’autre grande scène est aussi celle de la piscine où ils vont tous se réfugier, surtout le jeune italo-américain Platon (Sal Mineo, connu aussi pour son rôle de jeune juif agent de l’Irgoun dans Exodus, ainsi que pour ses rôles d’indien…), privé de parents et couvé par une nourrice noire et maladroite. Or cette piscine est vide ! Or cette piscine est creuse ! Il n’y a plus de refuge maternel dans la matrice américaine. L’enfant n’a pour se développer que les musiques, le frigo plein, les bagnoles et la mode. Un célèbre concepteur de malls expliquait d’ailleurs qu’il avait développé les centres commerciaux parce qu’en Amérique, on n’a personne à aller voir le week-end ! Misère du PNB !

  •  Le jeune Platon est évidemment une allusion un peu lourde au mythe scolaire de la caverne. Nous sommes dans l’illusion, nous sommes prisonniers, etc. C’est aussi un Platon qui cherche son Socrate, substitut au père ou au grand frère absent. Pendant qu’il s’angoisse tout seul, James Dean et Natalie Wood rêvent en enfants d’un futur plus adulte qu’ils ne connaîtront pas. Mais ils jouent déjà à être de trop vieux enfants, comme presque tous nos contemporains enchantés par les croisières, les sucreries, les trottinettes ou les dessins animés « pour adultes » !

 Inspiré par un essai de psychiatrie publié dix ans auparavant aux Etats-Unis, la Fureur de vivre expliquait magnifiquement les malaises de notre société moderne, dont nous ne sommes toujours pas sortis : même les policiers omniprésents y sont déjà des gentilles assistantes sociales, de trop bons éducateurs spécialisés ! Ce classique vous retire l’envie de vivre in illo tempore, en des temps meilleurs qui n’existent jamais. Nous sommes plus vieux et plus bariolés, c’est tout. La magie du film, son aura est tout simplement impressionnante. Les trois acteurs sont connu un sort tragique avec un clin d’œil étrange du destin. Dean est mort dans sa Porsche une semaine après avoir assuré la télé qu’il n’appuyait pas trop sur le champignon de la mort ! Or il y a un duel à l’automobile dans le film ! Sal Minéo a été poignardé à New York par un malandrin quelconque, semblable à ceux de la bande sinistre, type Équipée sauvage, qui les harcèle dans le film. Natalie Wood, la Prisonnière du désert, est aussi morte, mais plus tard, et noyée, près de son yacht. Quant à Nick Ray, il a fait filmer son agonie par un fossoyeur du cinéma, le crétin berlinois Wim Wenders.

 Le cinéma, dit Godard, c’est Nicholas Ray. Et le cinéma c’est aussi la vérité vingt-quatre fois par seconde. Mais la vérité de ce monde, dit aussi Louis-Ferdinand Céline, c’est la mort. Il faut donc retourner au temple.

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Comments (3)

  • ZISSU Sorel Répondre

    Declin de l’Occident ? Non, ce n’est plus le declin, c’est la fin ! Nous vivons dans une société sous PROZAC, mais ausssi en dansant sur un volcan.
    Les similitudes avec les phénomènes qui ont produit la chute et la disparition de l’Empire Romain et de sa civilisation, suivi d’un millénaire de recul culturel, artistique et de mode de vie sont visibles !
    Voir
    http://zissus.blogspot.fr/2010/06/coupe-du-monde-et-fin-de-civilisation.html

    3 novembre 2012 à 8 h 33 min
  • Fucius Répondre

    “Mais la vérité de ce monde, dit aussi Louis-Ferdinand Céline, c’est la mort. Il faut donc retourner au temple.”

    Quiconque est de la vérité est avec moi. Jésus.
    Qu’est-ce que la vérité ? Pilate.

    Le terme “vérité” traduit dans ce contexte non pas ce qui se démontre à autrui, mais ce qui est anthropologiquement permanent (Le mot araméen est dérivé de “rocher”).

    Ce que Céline nous dit, c’est qu’il n’y en a pas.
    Le relativisme aussi : Tout est relatif parce que rien n’est absolu. La conclusion de Céline est dès lors la seule possible.
    Le relativisme est donc nihiliste.

    Ainsi, si on ne peut pas prouver à autrui que Dieu existe, on a la preuve qu’il est nécessaire qu’on y croie.

    Cette nécessité bien réelle est sans doute la meilleure preuve de l’existence de Dieu – pour autrui, puisque bien entendu la meilleure preuve pour soi-même est l’expérience spirituelle.

    Cela fait deux raisons de retourner au temple.
    Finalement nous en sommes au même point que nos ancêtres, et il y a là quelque chose de rassurant…

    17 octobre 2012 à 18 h 02 min
  • Fucius Répondre

    “marmites à plomb” ?!?!?

    16 octobre 2012 à 18 h 59 min

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