Lu dans la presse : Les grandes écoles gagnés par l’égalitarisme

Lu dans la presse : Les grandes écoles gagnés par l’égalitarisme

" Le concours d’entrée aux grandes écoles est apparu ces derniers jours comme l’ennemi numéro un de l’égalité des chances en France », affirme Benoît Floc’h à la Une du Monde du 8 janvier, dans un article consacré aux « grandes écoles face au procès de l’élitisme ».

Et Véronique Soulé s’interroge de son côté dans Libération : « Haut-lieu de l’excellence scolaire mais aussi de la reproduction sociale, les grandes écoles, une spécificité française, sont dans la tourmente. Veulent-elles réellement s’ouvrir à la diversité ou rester entre fils de bonne famille ? »

Les grandes écoles seraient-elles donc le bastion du conservatisme social et la citadelle des privilèges ?

L’idée d’abattre leurs remparts est venue du très progressiste directeur de Sciences-po, Richard Descoings.

S’inspirant d’une expérience réalisée à Sciences-po, Descoings, et avec lui le ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse, envisagent d’ouvrir l’accès des grandes écoles à des élèves boursiers, à proportion de 30 % de boursiers dans chaque grande école. Ce terme de « boursier » est d’ailleurs trompeur : il ne s’agit pas, en effet, d’accorder une bourse à des élèves méritants mais sans fortune qui auraient passé haut la main les épreuves du concours, mais de faire admettre dans les grandes écoles un quota d’élèves issus des quartiers défavorisés.

Egalité oblige, paraît-il.

Car le concours d’entrée, qui place tous les élèves dans les mêmes conditions face aux questions posées, ne suffirait plus à garantir l’égalité des chances. Pour les contempteurs du concours, écrit Benoît Floc’h dans Le Monde : « le fait qu’il vérifie, notamment, la maîtrise des langues vivante ou la culture générale rend ce concours trop discriminant socialement pour permettre une réelle ouverture des écolesUn jeune qui a pu effectuer des séjours linguistiques, fréquenter les musées ou la bibliothèque familiale, a plus de chances de réussir un concours de grande école que celui qui a grandi dans un milieu défavorisé. »

Ce type d’argument, qui avait déjà servi à réformer les collèges et les lycées dans le sens d’une massification de l’enseignement secondaire, procède d’un raisonnement spécieux : l’école ne serait plus là pour instruire, mais pour assurer l’égalité entre tous les citoyens.

Le résultat de cette belle politique est sans appel : pour obtenir l’égalité, on baisse le niveau, au collège, au lycée, puis à l’Université que 40 % des étudiants quittent sans diplôme, aigris et convaincus d’avoir perdu leur temps. Conséquence: les bons élèves désertent l’Université.

Voilà dans quelle logique s’inscrit le nouveau projet de Descoings et Valérie Pécresse. Car on poursuit sur la voie de la « démocratisation ». Véronique Soulé a beau écrire, dans Libération, que pour le ministre, « l’égalité républicaine passe par les mêmes concours pour tous, et l’ascenseur social doit fonctionner à partir du seul mérite scolaire, et non pas de l’appartenance à telle ou telle catégorie sociale », le ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, estime pour sa part que « Le contenu même des épreuves peut entraîner une certaine discrimination » et qu’il faut par conséquent « réfléchir au contenu des concours ».

Dans Le Monde toujours, Benoît Floc’h applaudit d’autant plus à ces projets que, dit-il, le sénateur socialiste Yannick Bodin a montré dans un rapport rendu en 2007 que la démocratisation des grandes écoles s’était interrompue dans les années 1980 : « Alors que 29 % des élèves de ces écoles étaient d’origine "populaire" au début des années 1950, ils ne sont plus que 9 % quarante ans plus tard. »

Pas un instant, il ne vient à l’esprit de Benoît Floc’h, que d’une part, la population scolaire des années 1950 différait un peu de celle des lycées du 9-3 aujourd’hui ; et que, d’autre part, les statistiques qu’il cite ne plaident pas en faveur de la politique scolaire mise en œuvre au cours des trente dernières années : car il est quelque peu paradoxal de compter beaucoup moins d’élèves issus des milieux populaire au sein des grandes écoles après la « démocratisation » de l’enseignement qu’avant !

Dans Le Monde toujours, Sébastien Fath, chercheur au CNRS et ancien de Normal sup, imagine à quoi pourra nous mener, de proche en proche, la logique de Descoings et Valérie Pécresse en 2025 : « les équipes de football de division d’honneur auront droit à un quota d’accès de 30 % à la sélection de l’équipe de France ». Il en prévoit déjà le résultat : « Que les grincheux prennent garde : gare à eux s’ils osent protester au cas où la France perde 12 à 0 contre le Brésil à la prochaine Coupe du monde ! Toute allusion à une baisse de niveau à cause des nouveaux quotas de sélection sera poursuivie devant les tribunaux comme "profondément choquante" ».

Pierre Menou

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Comments (2)

  • Roland Répondre

    Bravo pour cet article.

     

    Pauvre France et pauvres Français de moins en moins cultivés et au QI en baisse …..

    Vu le niveau et la motivation de la plupart des enseignants, nous sommes dans une spirale de baisse des niveaux scolaires en chute libre.

    Merci aussi à la télévision qui contribue par la bêtise de ses émissions aux heures de grande écoute à l’abrutissement de nos congénères.

    Je pense que ça va s’aggraver car il est impossible de faire comprendre aux gens cette situation, surtout quand un gouvernement irresponsable veut détruire les derniers bastions d’intelligence et de culture!

    Par contre, ouvrez l’ENA à un quota de défavorisés : ça ne changera pas grand chose au niveau de ceux qui nous gouvernent et nous administrent.

    Enfin, si on parle d’identité nationale, j’ai la certitude d’avoir changé de pays ces dernières années, et pour moi, c’est ube très mauvaise nouvelle.

    14 janvier 2010 à 9 h 17 min
  • françois Répondre

     La raison d’être des grandes écoles est de former des gens compétents dans leur métier en un temps donné. La raison de la sélection à l’entrée est là: Partir d’un "matériau" qui permettra d’atteindre le niveau requis dans le temps alloué. Les grandes écoles ne sont pas là pour promouvoir ou aider telle ou telle catégorie. Si les immigrés ou personnes issues des milieux "défavorisés" sont meilleurs que les fils et filles de "nantis", ils seront pris sans coup férir.  C’est un leurre de croire que l’on peut se passer de sélection. Toute ma vie, je sélectionne en fonction de critères qui me sont propres ( prix, qualité, efficacité, estétique,…). Comment pourrait il en aller différemment quand il s’agit de choisir des hommes? Une chose est sûre: La sélection arrive TOUJOURS à un moment ou à un autre. Mais plus elle arrive tard, plus elle est douloureuse.  

    12 janvier 2010 à 11 h 25 min

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