Quelques conseils d’ami pour redécouvrir Paris

Quelques conseils d’ami pour redécouvrir Paris

Pour redécouvrir Paris, il faut oublier que l’on est à Paris. C’est le premier point : il faut éviter les coins à touristes (jamais si nombreux, c’est comme à Venise), les musées, les tours Eiffel, les Sacré-Cœur, les centres culturels, les grands boulevards, bref tout ce qui a été conçu pour attirer du monde, y compris malheureusement Notre-Dame de Paris transformée en parc d’attraction culturel par l’industrie massifiée du tourisme et aussi – il faut bien le dire – par l’indifférence de son clergé.

Il faut chercher un Paris sauvage et sacré, un peu oublié et des touristes, et des Parisiens. Il n’y a d’ailleurs plus de Parisiens en tant que tels, seuls des immigrés frais émoulus, des heureux spéculateurs immobiliers et des résidents momentanés qui seront chassés à la prochaine hausse des loyers. Ce petit monde stressé se retrouve dans le métro ou les restaurants bondés, au premiers rang desquels aujourd’hui les fastfoods japonais, chinois, yankees. Il faut aussi oublier le métro, les taxis, même les bus et retrouver dans cette ville aux dimensions modestes le sentiment de la marche hauturière, même s’il y faut marcher sur la pointe des pieds.

Il faut donc oublier la ville et son contenu pour célébrer d’une manière situationniste (et psycho-géographique) la ville et son espace, la ville et son format, qui nous surprendront toujours, même si c’est le cas de presque toutes les grandes villes dans le monde. Le touriste n’est jamais très malin ; il est comme le gendarme, comme diraient les pieds nickelés. Il faut donc être un pied nickelé du tourisme, un voyageur éveillé en quelque sorte qui laissera l’initiation saint-sulpicienne aux lecteurs de Dan Braun (!) et retrouvera le vrai Paris, celui des anciens peintres, des poètes, et même des grand photographes progressistes de l’avant-guerre – car on peut dire comme Charpentier qu’après 56, la tour Montparnasse, le périph’ et autres horreurs, la ville-lumière n’a plus offert grand-chose. Mais il faut laisser sa chance à la ville en marge de sa machine et de tous ses circuits.

On peut donc piéger la matrice parisienne par la nature parisienne : se rappeler que la ville est une ville aux sept collines comme Rome. Il y a donc la colline Montmartre et ses innombrables venelles (je pense à la rue Cortot, la villa Léandre, au petit boulevard Junot, et à la villa des brouillards). Montmartre était célébrée par les artistes pour son village, sa vigne, toujours présente, son Lapin agile, et surtout sa luminosité si bonne pour les peintres et pour les dépressifs en mal de sérotonine. Bien qu’elle soit surchargée de voitures, cette colline sacrée, mont des martyrs et de Denys, a conservé toute son aura.

Comme autres collines, on redécouvrira avec plaisir la butte aux cailles (au pied de laquelle gît une belle rue couverte de petites villas, la rue Dieulafoy), Passy (ses escaliers étranges et la très belle demeure de Balzac), et même Sainte-Geneviève, mais à certaines conditions (la tombée du jour, toujours magique rue du pot-de-Fer et de la Contrescarpe). Ces quartiers à villas, souvent modestes, se retrouvent dans les bouts du méconnu vingtième ou sur les bords du parc Montsouris.

Qui dit nature dit les jardins. Je n’ai jamais pu me faire au bois de Boulogne sauf à sa réplique à Mendoza en Argentine (dessinée par Charles Thays). Mais le jardin sauvage de Montmartre, tout près de la vigne m’enchante, tout comme les Butte-Chaumont, chef d’œuvre de l’architecture jardinière du second Empire (ne pas oublier les gémissements de Baudelaire et des autres à l’occasion des percements des boulevards et de la destruction du Paris mythique d’Eugène Sue et de Balzac – j’en pleure encore car j’Y ETAIS) où j’ai passé mon enfance rêveuse alors obsédée par Guignol, ou l’étage des jouets des galeries Lafayette et du Printemps. Découvrez aussi à l’autre bout de paris les étranges et presque cosmiques jardins Albert Kahn, conçus par un fameux philanthrope cosmopolite, et qui rassemblent sur quelques hectares tous les jardins du monde. Enfin réfugiez-vous dans les jardins du Palais-Royal, haut lieu de l’histoire magique de France, en plein centre, tout encadré par les lieux du pouvoir, mais toujours épargné par les masses haletantes du tourisme de masse. Le plus dur est de s’extirper de ce haut-lieu de paix pour retrouver la frénésie de la capitale. Vite, traversez la cour du Louvre et franchissez le pont des Arts.

Car il faut imaginer cette grande ville comme un petit ruisseau où l’on saute de pierre en pierre pour éviter d’être mouillé. On peut ainsi sautiller place des Victoires, en hommage à Louis XIV, aller prier à Saint-Roch ou Notre-Dame des victoires, sans oublier sur l’autre rive (je ne suis pas très rive gauche) Saint-Thomas d’Aquin ou Saint François-Xavier, les immortels temples aristocrates de notre capitale, ou bien sûr l’énigmatique moderne église byzantine sur notre place des Abbesses. Et si vous voulez vous enterrer, au lieu du métro de Zazie, gagnez les galeries marchandes du deuxième arrondissement. On y peut chiner dans le temps, dans l’édifice immense du souvenir comme dit Proust. Car Paris donne tout le temps l’envie de changer d’époque.

Et puis il y a les lieux psycho-géographiques où l’on expérimente des choses, comme dans une fumerie d’opium, ou dans un bar gratuit, comme la place Furstenberg à Saint-Germain des prés (j’ai gardé des souvenirs émus de mes déjeuners avec Simone Gallimard il y a plus de vingt ans maintenant), des lieux souvent anciens, début du XVIIème, qui fleurent bon les mousquetaires : voyez le pavillon de la reine (un hôtel-restaurant-jardin) place des Vosges, voyez le très étrange square de l’avenue Foch (ambassade de Singapour), voyez bien sûr le passage d’Enfer, où résida Chateaubriand, énigmatique rue à pavés, qui sent bon son décor de film métaphysique – je verrais bien un film de Lynch tourné ici. Juste à côté, une taverne amie, la Mère agitée !

Je donnerai quelques noms de ces films qui permettent d’aimer plus Paris : le Dernier tango (les cent première secondes !), Funny Face et Charade de Stanley Donen, les Neiges du Kilimandjaro (Peck sied bien à Paris), la Femme de l’aviateur de Rohmer (merveilleux Buttes-Chaumont !), le très bon Woody Allen qui célèbre les quais nocturnes et la rue Cortot de Montmartre (Tout le monde dit I love you !), et quelques autres qui vous reviendront !

Je n’ai plus l’heur ni la force d’aller à Paris ; mais la ville me poursuit sous une forme onirique, comme elle poursuit Nerval dans son roman initiatique Aurélia. Elle est moins un territoire qu’une tentation. On sait de quelle manière Nerval est mort à Paris. J’irais me faire prendre ailleurs, mais non sans avoir réalisé qu’une ville comme celle-là doit être visitée autrement pour devenir ce que doit devenir toute noble ville, le quartier de la ville où l’on doit mourir (Canetti).

Je donnerai un seul nom d’hôtel, et à cinquante euros s’il vous plaît : l’hôtel Henri IV, sur la mystérieuse place Dauphine, oubliée de la masse, en pleine île de la Cité et où Marion Le Pen délivra son beau discours de rébellion à la jeunesse française. Paris vaut bien une messe mais il vaut bien aussi, parfois, une révolution.

(écrit pour un journal étranger)

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Comments (4)

  • BRENUS Répondre

    Si vous voulez découvrir Paris avec vision du Sacré-Coeur du bas, il vaut mieux en effet oublier que vous êtes a Paris , mais surtout imaginer que vous n’êtes pas à Bamako. Ce quartier des “poulbots” qui fut le mien dans ma jeunesse est devenu un boulevard africain avec les boutiques qui vont avec. Quant à la place du Tertre c’est une vraie arnaque a touristes. Et s’il ne s’agissait que de cette seule partie de la ville. Curieux come tous ceux qui voulaient voir les blancs dégager d’Afrique au prétexte qu’ils n’y étaient pas chez eux – et qui y sont parvenus d’ailleurs- trouvent normal que les allogènes s’emparent de plus en plus du territoire. Je propose que la basilique soit transformée en mosquée pour les nouveaux convertis à la religion du pseudo amour.

    15 août 2013 à 16 h 18 min
  • Jacqueline Répondre

    En un demi-siècle, les promoteurs ont détruit la moitié de notre magnifique patrimoine architectural! Sans compter les paysages typiquement français, célébrées dans les tableaux, la poésie et la littérature… On a détruit plus que la guerre.
    De grâce, messieurs les politiques, arrêtez de signer n’importe quoi. Vous êtes payés avec nos impôts pour défendre la France. Notre héritage commun.
    C’est une pitié , en traversant notre beau pays, de voir chaque jour une nouvelle prédation.

    14 août 2013 à 12 h 25 min
  • Jacqueline Répondre

    Les touristes affluent à Paris parce qu’ils croient que Paris est toujours la capitale des arts et des lettres. Erreur: on a vendu les lieux d’habitation et de travail des artistes à n’importe qui, les obligeant à habiter la province.
    En marchant dans les rues et en levant la tête, on voit que les vieux immeubles prévoyaient des ateliers.
    Ne parlons pas de la vente scandaleuse des théâtres, etc…
    La politique de la ville est à repenser.

    11 août 2013 à 19 h 35 min
    • philiberte Répondre

      la politique de la ville?
      la politique tout court, oui!
      il est inadmissible qu’on ait bradé notre Histoire à des étrangers.

      12 août 2013 à 7 h 50 min

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