Alain Delon et l’insatisfaction de la droite (sur les temps qui courent)

Delon Alain

Alain Delon et l’insatisfaction de la droite (sur les temps qui courent)

Delon Alain
Alain Delon acteur

Mieux vaut la sagesse que les instruments de guerre, et un seul pécheur détruit beaucoup de bien. Ecclésiaste, 9, 18.

Interviewé par la Pravda (mais oui !) il y a quelques mois Alain Delon, de passage à Locarno, a reparlé de la fin du cinéma. Il est magnifique quand il se lance sur la question en chevalier désillusionné. Pour certains, le cinéma a disparu dans les années 60, pour lui le cinéma a disparu dans les années 1980. Il est vrai qu’à cette époque – le vrai tournant est vers 85 –, on a encore des cinématographies européennes, de grands acteurs, de grands auteurs, on a encore en France José Giovanni (que j’ai un peu connu, et qui n’était pas du tout à son aise dans notre société), Audiard, Ventura et tout le reste. Depuis, les tontons flingueurs sont morts, et le monde est un puzzle, comme disait Blier.

Le vieux prince aime depuis toujours évoquer ses grands souvenirs, ses amitiés avec Visconti, Ronet, Losey (ah, monsieur Klein !), Melville. Pour lui, et nous sommes bien d’accord, il n’y a plus de gens de ce calibre. Voyez ce qu’est devenue l’Italie avec le règne de la télé, de la blonde au botox et du cinoche réalité. Un film comme le Guépard est aujourd’hui comme un joyau perdu dans une boutique, une oasis d’honneur dans un désert d’ennui. C’est comme ça ! Il fallait naître avant ! Mais quand ?

Je pose cette question avec d’autant moins d’ironie qu’elle m’obsède. Nous, qui nous plaignons toujours des temps présents, avons-nous donc vraiment une époque à célébrer ? La guerre ? La décolonisation ? La France moisie de Gilles Grangier, des troquets et des vieux de la vieille ? Pensez-y bien ! La France n’a jamais été l’Amérique au vingtième siècle ! Revoyez Tati et Jour de fête ! Il a l’air fin notre facteur !

Qui était Delon ? Star planétaire à une époque qui vécut le déclin des stars américaines (Newman, Brando, Burt Reynolds pour Stewart, Grant et John Wayne ?), Delon a incarné un homme moderne et pressé, pour reprendre son très bon rôle inspiré de Paul Morand, qui devait s’adapter au monde dynamique des années soixante et soixante-dix. Mais est-ce que ce même modèle était un modèle de grandeur, un modèle qui faisait envie ? Revoyez le Cercle rouge, le Clan des siciliens, ou même Mélodie en sous-sol, et vous verrez qu’il y manque quelque chose. Ce n’est pas pour rien que le preux chevalier a fait du cinéma de cape et d’épée, ce dernier refuge de l’âme française au début de nos bien tristes années 60. Un jour il faudra que nous rendions hommage au génial et humilié André Hunebelle, l’homme du Bossu, du Capitan et du miracle des loups ! A lui et à Jean Marais bien sûr, dernier acteur solaire de notre francité. Alain Delon, c’est l’ange noir. Il promène ses beaux traits ennuyés dans un monde déshumanisé conçu par les Fantômas qui nous dirigent. Il est un samouraï sans l’idéal.

Je prends le Cercle rouge. Dans ce film tout est laid. La France des trente glorieuses a bien vendu son âme et même ses paysages couverts de poteaux électriques, de stations-services (pensez à la fin des parapluies de Cherbourg) et de sex-shops. Il n’y a que du temps gris, des autoroutes, des péages d’autoroute, des contrôles de police. Les rapports humains sont désastreux, complètement réifiés par l’entropie, la technologie et le consumérisme des temps. Même le patron de cabaret François Périer, excellent comme toujours, ne tient plus son fils qui plonge dans la drogue. Il est piégé par Bourvil, alors à l’agonie, vieux flic célibataire et compétent, et qui vit avec son chat et pour son job. Est-il corse, est-il gay ? On enquête sur lui en haut lieu. Delon, en baroudeur fatigué, regard vidé, tue tout autour de lui, il apporte la mort comme la poudre, avec les bijoux volés et invendables, et son message est nul. Le tueur italien, joué par le célèbre Volonte, ne connaît pas plus de chance que lui. Il n’y a que Montand qui tire son épingle du jeu en rompant avec ses cauchemars de contrôle mental (les écrevisses et les reptiles dans sa chambre) pour retrouver son efficacité au travail. Mais il meurt lui aussi. Le reste, ce sont des filles vénales et des embouteillages.

La question est : Melville en voulait-il à la société française (en tout cas il en voulait à ses personnages !) ou était-elle déjà comme ça ? Revoyez même Fantômas, mais sans De Funès, avec sa cybernétique, et ses centrales nucléaires, et son contrôle mental. Je penche plus pour la deuxième solution. On a tendance à droite à idéaliser le bon vieux temps, on a tendance aussi à idéaliser sa jeunesse. Et on a tort.

Un paradoxe va me donner raison : je laisse de côté le magnifique et provocant Nouvelle vague de Godard qui vaut un livre à lui tout seul. Le meilleur rôle de Delon, c’est-à-dire le plus gai, c’est un de ses premiers, des Sept péchés capitaux. Le maître à la caméra est le génie français Duvivier, roi d’Algérie et de Pépé le moko, cinéaste préféré avec Pagnol… d’Orson Welles. Delon – qu’est-ce qu’il joue bien ! Qu’est-ce qu’il ne joue pas au dur ! Qu’est-ce qu’il est lui-même ! – apprend que ses parents sont adoptifs. Il va chercher les vrais, est épouvanté par sa mère qui bosse dans le showbiz et le prend pour un mignon, et il revient aimer plus fort ses pères adoptifs. Il me semble que c’est modestement ce qu’il nous faut faire maintenant. La sagesse de Duvivier était plus forte que le rêve froid de Melville. Car la puissance nihiliste n’a rien à nous offrir.

Et j’ai dit : Mieux vaut la sagesse que la force ; mais la sagesse du pauvre est méprisée, et ses paroles ne sont pas écoutées.

Ecclésiaste, 9, 15.

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Comments (1)

  • QUINTIUS CINCINNATUS Répondre

    Comme le faisaient dire à une de leur image féminine les deux humoristes suisses , l’un dessinateur et l’autre faisant ( ou plus exactement remplissant ) ” la bulle ” , à propos d’un film français récemment “oscarisé” : ” j’adore le cinéma français quand il est … muet ”
    Alain Delon est certainement insurpassable quand il ferme sa … belle gueule

    15 octobre 2012 à 13 h 54 min

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