Variations sur Sacha Guitry

Variations sur Sacha Guitry

Le public, la horde roteuse des cocus aryens ivrognes… se régale des navets de M. Sacha.

Céline, Bagatelles.

J’ai eu la chance de rencontrer un soir Jean-Laurent Cochet après une représentation du Nouveau testament ; il m’a salué très gentiment, a répondu sans trop d’afféterie à mes pompeux compliments et m’a souligné combien Guitry est un auteur de génie. Or j’avais déjà oublié la pièce ! Vous pourriez me raconter les détails, même la trame du Nouveau testament ? Mêmes tambourins, même carambouille, même inutilité, dit Céline. Chassez Sacha, on ne saisira rien.

 C’est le problème que j’ai avec Guitry : Philippe Randa a publié le très bon livre de Maud de Belleroche sur notre génie national et transnational, et j’ai oublié de quoi il parlait aussitôt refermé ! C’est cela le problème de multiplier les bons mots, les remarques, les pointes : on les oublierait presque du côté de l’auditoire ! Je ne peux pas citer de pièce de Guitry, ou presque. Et d’un autre côté, son cinéma et son théâtre fonctionnent bien sûr sur moi de façon hypnotique, persuasive, conative : je n’en peux décrocher. Mais de quoi donc sinon pouvait-ce bien parler ? Mêmes tambourins, même carambouille, même inutilité, dit Céline.

Je lisais jeune les Cahiers du cinéma, quand ils n’avaient déjà plus rien à dire (mais ils étaient encore supportables à l’époque), et je me souviens par contre d’un article très élogieux sur Guitry. Cela devait faire postmoderne et décalé, comme on dit. Le critique parlait d’un fait bien prosaïque : génial Sacha voulait filmer ses pièces. Il les mettait en boîte, et il avait raison.

Mais, et c’est là le hic, l’exercice simple de mettre en boîte son théâtre plein de bons mots et de triangles lui paraissait ennuyeux. Il périssait d’esprit, Sacha. Et d’un coup, du premier, il devient un génie, en filmant les plus géniaux génériques de l’histoire du cinéma en France comme ailleurs. Il va nommer lui-même ses collaborateurs et son producteur (on pourrait dire que ses collaborateurs sont français et son producteur juif ! Non ?), ou il va tourner les pages d’un album-photo ou il va parler de lui à la troisième personne… Un génie, vous dis-je ! Il a doublé six fois sa sixième (bravo l’instruction publique !) et à vingt ans, il gagne des millions par son verbe !

On ne peut que s’extasier de même devant le Roman d’un tricheur, qui, lui, révolutionne l’usage de la voix off au cinéma. C’est sensationnel, et bien évidemment comme tout ce qui est révolutionnaire et génial, ce n’est pas recopié ni imité. On ne recopie que la médiocrité, sinon où serait-on ? Le cinéma de Guitry est bien sûr de droite, mais il fait presque trop bourgeois, à l’inverse de son tricheur si moderne (parce que justement pas bourgeois ; les bourgeois sont partis, les tricheurs sont restés). Guitry célèbre aussi la France dans ses beaux albums un peu léchés sur Versailles et le reste (personnellement cela ne me fait plus rien : elle est trop loin de nous, la France !), mais le vrai Guitry n’est pas là. Il est dans cette folie un peu noire, un peu pointue, bien acérée et nihiliste, qui fouille tout et dénonce tout. Dans ce regard sur soi un peu glacé et qui attend la mort. Voyez la Vie d’un honnête homme où Simon Michel se fait doubler par son jumeau, ou son sosie, Michel Simon, qui lui chipe l’amour haineux de sa famille bourgeoise. Il s’en suicide le pauvre (exactement il part à l’aventure, mais quand on est un bourgeois…) après avoir bien éprouvé l’inanité de tout, plus que Céline encore !

 

Le pis est que dans le film on voit De Funès avec sa femme Claude Gensac ! Le maître d’hôtel et sa bonne sont nos bon vieux gendarme et colonelle ! Et comme Guitry ne se refuse rien encore, et qu’il est prêt à tout, il nous montre les seins de la future colonelle, qui fait germer des idées en tant que bonne dans le cerveau bourgeois de Simon Michel ! Un poète vous dis-je, d’ailleurs Guitry ne plaisait jamais beaucoup à l’extrême-droite (il aimait les belles métèques d’Europe de l’Est, avait été baptisé en Russie orthodoxe, alors…), alors que pourtant Rebatet écrit quelque part (quelque part c’est-à-dire dans les Mémoires d’un fasciste !) :

 Et si j’étais fort peu guitryste, Sacha, qui avait eu beaucoup d’ingéniosité au cinéma dans son Roman d’un Tricheur, ne dissimulait guère ses opinions.

 Quelles opinions ? Nous voulons des aveux !

 Il y a à Cap d’Ail, tout près de ce Monaco qu’il a si bien célébré dans son Roman d’un tricheur, une belle maison, de bleu et de blanc, et donnant sur la mer, où Sacha venait se reposer les dernières années de sa vie avec son ultime épouse, Léna Marconi, un peu plus loin que la villa de Garbo, et plus bas que Lumière. Elle est bouleversante, située sur la promenade la Mala qui séduit encore quelques romantiques quand elle n’est pas prise pour une piste de bobsleigh par les adeptes de la course stressante.

 Léna Marconi, sa Marie-Antoinette… Cette xénophilie qui est de droite et plutôt orthodoxe (je le sais parce que c’est la mienne, que ni ma femme, ni mon prêtre, ni mes témoins ne sont français), on la retrouve dans un chef d’œuvre qui dénonce la république aux abois (comme toujours) de l’été 39 : Ils étaient neuf célibataires. C’est là aussi que je perds mon chaud latin avec des pléiades de bons mots et d’acteurs : Mêmes tambourins, même carambouille, même inutilité, dit toujours Céline. Mais cette fois cela me touche de plus près. Alors… je plaide la mauvaise foi, je déifie ce film, un des meilleurs du monde (pas celui-là, l’autre).

 Je conclue avant de me mettre à pleurer. Lors de son arrestation par une poignée de faquins épurateurs toujours armés, Guitry a une réflexion géniale (c’est cité par Maud et c’est signé de lui) :

 Je ne me permettrai pas de dire qu’ils ont peur – pourquoi d’ailleurs auraient-ils peur, armés comme ils le sont, placide comme je le suis. Non, certes, ils n’ont pas peur. Ce qu’ils ont, c’est le trac, un trac d’acteurs – d’acteurs qui ne seraient pas très sûrs de leur mémoire, d’acteurs qui rempliraient des rôles au-dessus de leurs moyens.

 Acta est (presque) fabula !

 Vous en connaissez vous, des gens capables de se distancier comme cela, lors de leur arrestation par les hordes du politiquement correct ? Si, moi, il y a deux mille ans. Ce n’est pas pour rien que Boulgakov a rapproché la passion du spectacle moderne dans son Maître et Marguerite. Et c’est bien pourquoi, et je le maintiens, Guitry est le meilleur cinéaste du monde, pas celui-là, l’autre.

*

On lui laisse le mot de la fin, il y en aurait des milliers. C’est à son procès.

 -Avez-vous approuvé la politique de Vichy ?

-Monsieur, je ne peux pas approuver la politique d’un gouvernement qui se permet d’édulcorer Molière et qui supprime le divorce

 Maud de Belleroche : Sacha Guitry, L’esprit français, Dualpha éditeur.

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Comments (3)

  • Madame Dujol Marie-Louise Répondre

    Merci de nous parler encore et toujours de Monsieur GUITRY.J’ai plaisir à le lire et le relire. Parlez- nous de ce Monsieur, même pour le critiquer. Le seul mot de : G U I T R Y, me fait plaisir. Bonsoir à tous.

    Madame Dujol

    12 novembre 2012 à 16 h 55 min
  • quinctius cincinnatus Répondre

    on ne peut être qu’en accord avec L.-F. C. … ce n’est pas une oeuvre ” universelle ” c’est du petit ouvrage parisien

    11 novembre 2012 à 20 h 19 min
  • FoxRenard Répondre

    J’adore Sacha Guitry ! J’adore le Roman d’un Tricheur ! J’adore le temps où la langue française était encore bien parlée…

    11 novembre 2012 à 10 h 46 min

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