Le bourbier afghan

Le bourbier afghan

Lorsque les Américains furent piégés en Irak, il me revint à l’esprit ce refrain bien de chez nous : « Ah, il fallait pas, il fallait pas qu’ils z’y aillent ! Ah, il fallait pas, il fallait pas y aller ! » Et il convient très bien aussi à notre présence en Afghanistan.

Je me demande combien de temps mettront les Occidentaux à comprendre qu’une intervention militaire en pays étranger ne peut avoir de chance de succès que si elle est précisément ciblée, foudroyante, rapide et éphémère, c’est-à-dire à durée déterminée. Mais toute armée qui s’éternise dans un pays dont elle ignore à peu près tout est inexorablement vouée à l’échec.

Les expéditions coloniales de jadis n’ont pu réussir que parce que leur supériorité technique sur les peuples conquis était écrasante et que ceux-ci en étaient comme subjugués. Mais ces temps sont révolus. Les révoltés potentiels ont désormais accès aux armements les plus sophistiqués et les armées occidentales ne les intimident plus d’aucune manière. Dominique de Villepin déclarait dernièrement au Télématin de France 2 qu’une intervention militaire devait prévoir dès le départ un calendrier de retrait. Dommage que l’idée ne lui en soit pas venue lorsqu’il était Premier ministre.

« Ceux qui ne comprennent pas le passé sont condamnés à le revivre » disait Goethe fort justement. À la fin du XIXe siècle, les Anglais ont subi en Afghanistan les plus cuisantes défaites de leur Histoire. À la fin du XXe siècle, les Soviétiques y ont connu un cuisant échec. Et voilà qu’au début du XXIe siècle, les Américains, toujours présomptueux et farauds, s’y précipitent à leur tour, nous entraînant dans leur sillage, afin de traquer Ben Laden et d’anéantir les Talibans, ce qui revenait à jouer « Mission impossible » dans les montagnes afghanes proches de la frontière-passoire du Pakistan.

Et maintenant nous voilà embourbés dans une nouvelle ornière, parce que nos dirigeants sont incapables de tirer les leçons du passé. Ainsi voyons-nous se reproduire le sempiternel cercle vicieux de toute intervention militaire à durée indéterminée plongée dans une population civile au sein de laquelle les ennemis deviennent invisibles.

 
L’ornière

Même si ladite population n’est pas hostile au départ, elle le devient inexorablement, parce que les bavures sont inévitables, surtout avec des bombardiers. Les dommages collatéraux se multiplient, les haines s’allument contre les étrangers bientôt considérés comme des occupants indésirables et la situation ne cesse de se dégrader. Mais comme l’armée étrangère ne peut plus se retirer sans perdre la face et paraître vaincue, elle reste, elle demande des renforts et tout le monde est dans le pétrin pour un paquet d’années.

D’autre part, dix militaires français tués dans une embuscade, c’est, je suis obligé de le dire, un incident d’une parfaite banalité dans une guerre de ce type. Et même si cela reste évidemment une tragédie pour les familles des victimes, cela ne vaut que 30 lignes en page 2.

Au lieu de cela, nous avons assisté durant une semaine à un stupéfiant carrousel médiatique, star élyséenne en tête, avec discours solennels, cérémonies grandioses et trémolos télévisés. Si l’on avait voulu persuader les Talibans qu’ils venaient de mettre à genoux une grande nation occidentale, on n’aurait pas agi autrement. Le général Puga a heureusement pris soin de rappeler que l’opération avait été un succès pour nos armes et que l’ennemi avait perdu beaucoup plus d’hommes que nous. C’est tout juste si on ne l’a pas conspué pour avoir osé dire la vérité.

Cette émotion collective disproportionnée offre cependant un aspect positif : la vie d’un homme a désormais en Occident plus de valeur que partout ailleurs. On n’imagine plus aujourd’hui des généraux français, allemands, anglais ou américains envoyer des milliers de soldats à une mort quasi certaine comme ce fut le cas dans les tranchées de Verdun en 14-18. Et, si la mort de nos dix soldats reste navrante, on doit noter qu’ils n’étaient pas des appelés, comme ce fut le cas en Algérie, mais des professionnels qui connaissaient les risques de leur métier.

Comme devaient connaître les risques de la montagne les 100 alpinistes et randonneurs volontaires morts dans les Alpes au cours du seul été 2008. Cela dit pour relativiser.

Le général Puga sur France 2

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Comments (9)

  • Jaures Répondre

    A P.Lance: Puisqu’il est secret, qui vous dit que ce calendrier n’existe pas ? Et puisqu’il est secret, qui empêche celui qui l’a établi de ne pas le respecter ? Bref, de quoi parlez-vous ?

    8 septembre 2008 à 13 h 26 min
  • ozone Répondre

    Le retrait avait deja commencé,au grand dam des neocons Français..

    7 septembre 2008 à 16 h 49 min
  • Jaures Répondre

    "Des professionnels qui connaissaient leur métier". Pour s’occuper d’un rayon de supermarché, on demande à un jeune, au minimum, Bac+2 et 3ans d’expérience.

    Pour aller se faire tuer en Afghanistan, avoir 19 ans et 6 mois de stage semble suffire.

    Quant à la reflexion du gradé en question, "on leur a mis une sacrée pâtée !", que semble reprendre à son compte P.Lance, elle donnerait à penser que la victoire se compte à la guerre en nombre de victimes de chaque côté. Ce qui laisserait croire que, par exemple, les nazis ont mis une "sacrée pâtée" aux Russes en 1944. Voilà qui devrait redonner le moral à quelques nostalgiques.

    7 septembre 2008 à 10 h 57 min
  • Pierre LANCE Répondre

    À kiplingue : Ne remontez pas à l’Antiquité, s’il vous plaît. Les choses étaient très différentes. Alexandre concluait des alliances avc des rois vaincus qu’il ne détrônait pas, en général, mais il n’occupait pas le terrain. Et son “empire” n’a pas duré assez longtemps pour susciter des guérillas. Nous parlons de l’époque moderne. À Jean-Claude Thialet : Je n’ai pas dit que Dominique de Villepin était responsable de nos premiers envois de troupes en Afghanistan. En revanche, lorsqu’il était Premier ministre, il pouvait très bien établir un calendrier de retrait. (Un calendrier SECRET, bien entendu, tel qu’il le proposait à l’émission dont je parlais, car il serait évidemment stupide d’avertir l’ennemi à l’avance du moment où l’on va partir.)

    7 septembre 2008 à 0 h 14 min
  • Jean-Claude THIALET Répondre

    "Les 4-Vérités" – 05/09/08

    L’article de Pierre LANCE ne mérite que des approbations de la part des gens de bonne foi, surtout s’ils on conservé leur bon sens. J’y ajouterai simplement les remarques ou commentaires ci-après.

    A propos de Dominique de VILLEPIN. Si calamiteux qu’ait été cet ancien Premier Ministre, on ne peut le charger de tous les péchés que j’ose encore qualifier d’Israël. Que je sache, ce n’est pas lui qui a entraîné les troupes françaises dans le bourbier afghan, mais Lionel JOSPIN lors de sa cohabitation avec Jacques CHIRAC. Et l’on ne peut donc lui reprocher, même implicitement, de ne pas avoir"prévu dès le départ un calendrier de repli" pour une guerre qu’il n’avait pas engagée lui-même. En y regardant bien, je pense qu’on découvrirait que lorsque Domnique de Villepin a pris ses fonctions, il était trop tard pour engager ce "retrait".

    A propos des haines entraînées par les dégâts collatéraux. Tout à fait d’accord avec les remarques de Pierre LANCE : les populations civiles, très vites lassées par toutes les morts, les exactions, et autres dégâts matériels (parfois considérables) qu’elle subissent lors des interventions – si justifiées soient-elles (ce qui reste à prouver en Afghanistan, en Irak ou ailleurs !) – de troupes "étrangères" finissent par n’avoir qu’une seule envie : QU’ELLES PARTENT AU PLUS VITE ! Quitte à faire le jeu, pour cela de ceux qu’elles vouaient aux gémonies mais qui sont de la même race, de la même nation., de la même … religion ! Comme c’est le cas des Talibans !

    Un oubli. Pierre LANCE a omis de rappeler que les Américains ont justifié leur intervention en Afghanistan en prétendant qu’ils allaient y éradiquer, après le "11-9"  ("9-11", si l’on préfère !) le terrorisme ainsi que l’obscurantisme istamistes. Outre que les terroristes impliqués dans le "11-9" n’avaient rien à voir avec les Afghans (il aurait fallu plutôt viser l’Arabie séoudite ou le Pakistan, alliés traditionnels de l’Oncle SAM !), je ne crois pas que l’obscurantisme ait régressé en Afghanistan. Certes, la chari’a n’y a plus cours, du moins officiellement. Mais les burkas y sont majoritaires, et les femmes, excepté dans certaine classe sociale évoluée, n’ont guère gagné sur le chemin de l’égalité hommes-femmes, ou même d’un commencement de liberté, d’autonomie. Et le peuple afghan, "libéré" des taliban et de la chari’a , mais retombé sous le joug de gouvernants qui s’en mettent plein les poches (pas seulement avec l’argent de la drogue) et  des chefs de guerre, me paraît être tombé de Charybde en Scylla. Tandis que l’opium, afghan pratiquement éradiqué par les taliban empoisonne de plus belle les jeunes (pas seulement eux, d’ailleurs !) occifdentaux, à commencer par les .. GI’s …

    Bon week-end, cordialement, Jean-Claude THIALET

    5 septembre 2008 à 12 h 51 min
  • OncleFred Répondre

    Vous êtes d’autant plus convaincant dans votre démonstration qu’on ne trouve pas chez vous les bouffées d’américanophobie délirantes qui rendent irrespirables la plupart des plaidoyers pour un retrait d’Afghanistan.
    Pour l’Irak, je pense que la postérité sera plus indulgente que vous ne l’êtes aux Américains et à G.W.Bush.

    4 septembre 2008 à 1 h 26 min
  • kiplingue Répondre

    je trouve excessif de dire que les afghans ont toujours repoussé les envahisseurs et n’ont jamais accepté les étrangers.
    En fait l’afghanistan a été envahi par les perses et alexandre le grand notamment.
    Les anglais ont bien perdu une campagne contre les afghans, mal préparée et avec peu de troupes d’ailleurs, mais quand ils sont revenus par la suite ils ont bel et bien envahi le pays, et enlevé à l’afghanistan une partie de son territoire qui se trouve aujourd’hui faisant partie du pakistan, et que les afghans n’ont jamais pu récupérer. Techniquement les anglais ont donc bien gagné contre les afghans.
    Le mythe de l’afghan invincible a été monté de toutes pièces par les soviétiques pour excuser leur échec et ne pas perdre la face.
    Il faut aussi noter que les occidentaux n’ont pas l’intention d’annexer l’afghanistan, ce qui fait que ce débat est de toutes les façons stupide.

    3 septembre 2008 à 22 h 55 min
  • ozone Répondre

    Peine perdu,nos irresponsables n’ont aucune culture historique,trop de temps passé a preparer l’accéssion au pouvoir en donnant coups bas et croches pieds a ceux qui courent avec eux.

    Les echos de défaite qui suivront le retrait inévitable d’Afghanistan ne tomberont pas dans l’oreille d’un sourd chez nous…

    Beau boulot

    3 septembre 2008 à 18 h 39 min
  • Magny Répondre

    Bravo , bon article : tout est bien dit sur ce gâchis , j’adhère complètement . Il manque juste à préciser que Sarkozy avait promis de se désengager de l’Afghanistan pendant sa campagne … pour faire exactement le contraire une fois qu’il a été élu . Encore un poids de plus que la France doit porter grâce à son président . Mais quand on préfère tenir sa parole envers Bush qu’envers ses concitoyens il faut bien habiller l’arnaque sous les couleurs du patriotisme pour que tout le monde n’y voit que du feu .

    Oyez brave gens : ceux qui doutent que nous luttons pour le bien et contre le terrorisme en Afghanistan sont des inconscients , des lâches , des traîtres , et même plus …

    Quel gâchis ! Rien n’est de trop dans notre monde , mais c’est à vomir de voir comme tout est mal utilisé , ou trop tard , ou trop , ou pas assez . Que de temps , d’argent et de sang de gaspillé !

        

    3 septembre 2008 à 12 h 11 min

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