Les enfants de Teresa

Les enfants de Teresa

Dans notre numéro 419 (« Les 4 Vérités Hebdo » du 25 octobre 2003), notre ami Bernard Trémeau nous a donné une démonstration très convaincante de la différence capitale qui existe entre la charité spontanée et la solidarité obligatoire (autrement dit entre le christianisme et le socialisme) et il conclut que la première est supérieure à la seconde, ce que voudrait souligner, selon lui, la béatification de « Mère Teresa ».

Je suis d’accord avec les grandes lignes de son analyse, laquelle rejoint pourtant l’objection que me font quelques lecteurs lorsque je dis que le christianisme a enfanté le socialisme. Néanmoins, il n’y a aucune contradiction entre les deux propos, ce que je voudrais m’efforcer de clarifier aujourd’hui.

Certes, en tant qu’ardent défenseur de la liberté/responsabilité individuelle, j’accorde sans réserve ma préférence à la charité spontanée. Mais la lucidité m’oblige à deux constats que je crois irréfutables :

a) La charité ne peut pas être considérée comme « spontanée » lorsqu’elle est le fruit d’une pression sociologique aussi forte que celle d’une religion dominante (l’exemple des États-Unis que cite Bernard Trémeau est significatif à cet égard), car ce n’est plus alors une charité spontanée, mais une charité commandée par la coutume et le conformisme ;

b) une charité commandée par le milieu ambiant débouche tôt ou tard inéluctablement sur le socialisme/étatisme, parce que l’individu contraint par la coutume religieuse cherche désespérément (et peut-être inconsciemment) une échappatoire pour recouvrer sa vraie liberté de choix, et il croit la trouver en se déchargeant sur

l’État de son « devoir de charité ».

Cette dernière démarche repose évidemment sur une illusion, puisque l’État, pour exercer cette charité, doit la rendre collective et la financer par l’impôt, donc par dictature. Mais le « faux charitable » (qui est en majorité) s’en console en songeant qu’ainsi la contrainte morale à laquelle il n’avait pas le courage d’échapper s’imposera à tout le monde, et notamment à ces orgueilleux si agaçants qui avaient encore assez de force de caractère pour résister à la coutume. Il se dit en outre qu’il sera peut-être assez malin pour se soustraire au système étatique. C’est pourquoi des gens qui n’oseraient pas refuser une pièce à un mendiant à la sortie des messes pourront devenir sans remords des experts en fraude fiscale. Et cela se comprend, puisque le collectivisme anonymise les rapports humains et détruit en chacun le sentiment de responsabilité. Trémeau a raison : le socialisme tue l’altruisme. C’est-à-dire qu’il tue son père, donc je n’ai pas tort.

Méfions-nous des sincères !

Mais il y a aussi les Chrétiens idéalistes et sincères, qui faisaient vraiment la charité de bon cœur, mais qui, hélas, n’arrangent rien, car ils parviennent au socialisme par un autre chemin, mais y parviennent tout de même. Convaincus que le monde est injuste (ce qui est étrange de la part de gens qui le disent créé par un dieu), ils enragent de voir que les vrais charitables sont minoritaires et leur puritanisme les conduit à l’autoritarisme. Ils sont souvent issus de familles protestantes et se jettent dans la politique, forcément de gauche, puisque, comme ils disent, « le cœur est à gauche ». Alors la boucle est bouclée, et nous sommes tous coincés dedans !

Reste « Mère Teresa », qui, hélas pour elle, n’a jamais été la mère de personne (n’est-ce pas curieux cette propension des religieux qui ne font pas d’enfants à se faire toujours appeler « père » ou « mère » ? Nostalgie, compensation, revanche ou escroquerie morale ? Interrogez-vous là-dessus, braves gens).

J’ai eu l’immense avantage, voici quelques années, d’assister à une prestation télévisée de Mère Teresa au cours d’un colloque international sur la liberté dans le monde. À la stupéfaction générale des assistants, elle se lança dans une violente diatribe, quasi hystérique, contre la contraception et l’avortement, sujet qui n’était nullement à l’ordre du jour, et qui lui était même contraire. Personne n’osa protester. Mais ce jour-là, je l’ai jugée. On peut la béatifier, et même la sanctifier, son âme ne sera pas lavée pour autant. Teresa s’est dévouée toute sa vie, nous dit-on, pour secourir les enfants malheureux et malades des bas quartiers de Calcutta. Des enfants qui n’auraient jamais dû naître, et dont la plupart mourront avant l’âge de sept ans dans la famine et la souffrance. Ces quelques années d’existence douloureuse, hagarde et désespérée, ils les doivent à Teresa, à ses promoteurs et à ses pareils. Aussi je regrette parfois qu’il n’y ait pas de jugement dernier.

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Comments (6)

  • Pere Pierre LAGIER Répondre

    Pierre Lance émet toujours des départs de pistes de pensée intéressants mais tombe souvent à court de souffle, bien avant d’arriver à des conclusions révolutionnaires. Ses déductions assez rabougries démontrent son manque d’un élément décisif du « puzzle »: la Foi. Les enfants de Teresa (les 4 vérités no 421) en sont un exemple. Ci-après une courte exégèse. S’il n’est pas du tout certain que les religieux tiennent tant que cela à être appelés « père » ou « mère », il est constant que c’est partout la pratique dans tous les pays du monde et dans toutes les langues, pour les religions chrétiennes, y compris celles où le célibat du clergé n’est nullement la règle. Exit donc le sournois coup de patte anticlérical qui ici n’était pas mérité. Puisqu’il rejette en bloc le seul message vital qu’elle ait essayé de lui passer sur le sujet immense de la liberté, quel immense avantage P. Lance a-t-il eu à écouter mère Teresa? Réponse : aucun. Bilan de fait: zéro. Puisque la prestation était télévisée et que la quasi-totalité de l’assistance était par définition invisible, comme ses possibles approbation, désapprobation, neutralité, ou prises en compte des paroles de la religieuse, la stupéfaction générale de l’assistance peut se limiter à celle du néo-censeur P.Lance,. Les juges et avocats expérimentés ont une lecture professionnelle du petit lexique de la controverse verbale. C’est ainsi que « hystérique » est presque toujours utilisé à contre-sens pour tenter de disqualifier des propos rejetés par leur auditeur, même si, comme ici, ils sont prononcés à mi-voix par une gorge de 80 ans, mais avec la détermination de la conviction. Etre « contraire » à l’ordre du jour (qui était la liberté dans le monde) est une expression qui mérite une analyse Freudienne. Lance veut probablement dire que la contraception et l’avortement étant à « son » évidence une partie inaliénable de « sa » liberté (de ne pas concevoir du tout et de tuer les embryons déjà conçus), une intervention dénonçant la contraception et dénonçant l’avortement est contraire à « sa » liberté (on remarquera que celle des embryons n’est pas du tout envisagée) donc « contraire » à « son » ordre du jour. CQFD. Au lieu de réfléchir un peu plus loin que d’habitude, au lieu de tomber ou d’affecter de tomber dans l’attitude condescendante de l’indulgence de l’assistance qui n’osa pas protester (sous-entendu devant la profession de telles intolérables énormités par une pauvre vieille radoteuse), Pierre Lance JUGE et nous fait bénéficier de son immense sagesse. Il se substitue humblement à Dieu et décide que l’âme de mère Teresa est sale. Elle a beau s’être dévouée toute sa vie (nous dit-on, ce qui reste à vérifier, il y a tant d’ escrocs…), le jugement dernier de Pierre Lance se substituera opportunément à celui inexistant de Dieu, pour faire expier à la vieille sorcière ses abominables crimes contre l’humanité. Teresa est donc (à l’évidence de Lance), une des plus emblématiques responsables des atrocités quotidiennes qui consistent à précipiter sans préavis dans les horreurs de la vie des millions d’enfants pauvres qui mourront souvent avant 7 ans après n’avoir rien connu d’autre que la famine et la maladie. Ils n’auront de surcroît jamais l’heur de lire P.Lance dans le texte. En conclusion, il apparaît scandaleux qu’un pouvoir complice n’ait pas envoyé une équipe du RAID dans les studios de la TV afin d’arrêter mère Teresa, et la faucher ensuite d’une rafale de mitraillette devant les cameras, pour l’exemple, juste avant que le Guignols de l’Info ne soient convoqués, à la pointe de la baïonnette, pour canoniser Pierre Lance comme véritable bienfaiteur de l’humanité (par ses articles ouvrant enfin les yeux sur les véritables tortionnaires de l’enfance mondiale- Teresa, Jean-Paul II et Marc Dutrou, même abomination) et que son culte soit désormais célébré chaque dimanche dans toutes les églises, temples, synagogues et mosquées de la planète. Les petits enfants souffreteux de Calcutta applaudiront juste avant de mourir. Et ce sera Justice. Amen Père Pierre LAGIER

    19 novembre 2003 à 13 h 32 min
  • Mickaël Mithra Répondre

    Article très lucide en ce qui concerne la question de la parenté socialisme/christianisme. Le christianisme est complexe, il a également un côté individualiste très fort, mis en avant d’ailleurs par les libéraux chrétiens. Mais il n’en reste pas moins vrai que c’est une forme de socialime. Car le socialisme et le christianisme partagent des points communs fondamentaux et très négatifs : désignation du bien / de la morale en dehors de l’individu (“Dieu” ou la “société”), et ce qui doit en découler: vénération de l’autoritarisme et présentation de l’altruisme sacrificiel comme vertu morale, alors qu’il s’agit en réalité de l’anti-vertu par excellence. Voilà tout le succès de mère Thérésa: la question de “Dieu” mise à part (question fort secondaire aujourd’hui pour les socialistes comme pour beaucoup de chrétiens, y compris consacrés, et négligeable face à ce qui les rassemble), mère Thérésa fait du “social” (en tous cas, c’est l’image qu’on a d’elle. Si elle fait autre chose en réalité, tant mieux mais j’en doute): elle prône l’altruisme sacrificiel, meilleur moyen de maintenir les peuples dans la servitude et l’arriération économique. Le sacrifice n’est pas compatible avec la liberté, il n’est pas compatible avec le progrès, le bonheur, la vie. Les vrais ennemis de l’humanité, ce sont bien, hélas, les “mère Thérésa”.

    13 novembre 2003 à 14 h 18 min
  • Le Blaireau des steppes Répondre

    Voici un article qui m’interpelle, merci pour cette analyse. Il est bon d’avoir une autre vision, qui me paraît plus juste. En effet, que vient donc faire cette “Mère” en Inde. Respecte-t-elle la tradition des castes depuis si longtemps établi au sein de ces sociétés plus que millénaires ? Un sujet à mettre plus en évidence que ces quelques mots. De quel droit s’ingère-t-elle, Elle et ses semblables, dans une culture différente ? La souffrance de ses pauvres gens a-t-elle permis à cette personne d’offrir une vision juste de notre Dieu ou de se sentir investie d’une mission lui permettant d’assouvir sa propre divinité ? Il est fort heureux pour cette personne que l’Inde pratique la Tolérance. Bientôt au Hit-Parade de la béatification l’Abbé Pierre. Voilà une idole de plus à mettre sur le calendrier. Ce qui est remarquable dans ces schémas de sainteté, c’est que l’on n’attend plus de voir avec le temps, au moins un siècle ou deux, si l’oeuvre de ces personnes perdurent. Le fond de commerce s’éteint en général lorsque cela ne permet plus aux salariés de ces associations de s’offrir suffisamment pour vivre mieux que leurs déshérités. Un Pape qui faisant fi des règles séculaires de l’église catholique se permet de béatifier aussi rapidement cette personne au même titre qu’un membre de l’Opus-Deï, ne trouvez vous cela pas trop rapide, comparé à Jeanne d’Arc ? L’inculture religieuse, des peuples règnent en maître. Merci à la presse, média télévisuel, radio inféodées à la puissance du contrôle de la pensée unique. Voici jeté en pâture à la ire populaire quelques questions peut conforme à l’orthodoxie ambiante. Puissiez-vous en faire l’usage et la réflexion qui leurs convient. Pour répondre à Toto (la glande), je ne crois pas que laisser parler sa sensiblerie de cette façon, si conforme à la pensée unique, soit le moyen d’obtenir un monde meilleur. Chacun est libre d’avoir la vision de la société qui lui paraît la plus juste pour lui. M. Lance respecte, au travers de son texte les engagements de chacun. Mais il exprime aussi des doutes quant à la véritable utilité de ceux-ci. Est-ce donc ainsi qu’il nous faut agir, avoir un droit d’ingérence sur le comportement non-conforme d’autrui ? Si OUI : que vive la Sainte Inquisition.

    12 novembre 2003 à 10 h 45 min
  • yaddan Répondre

    Vous pouvez juger “hystérique” l’attitude de mère Térésa et argumenter sur l’appellation religieuse de “père” et de “mère”, ce sont là des arguments un peu courts en regard de son oeuvre. Qu’est-ce qui vous permet de dire que la plupart de ces enfants ne vivront pas au delà de sept ans, avez-vous mené une enquête sur le sujet ? Et même si seulement la moitié survit, est-ce à vous de décider de leur droit à l’existence et de ce que leur vie sera, en dehors de toute conception religieuse ? Est-ce que leur vie vous appartient et qui êtes vous pour décider du “droit de vivre” des uns et des autres ? La question de la contraception et de l’avortement est très délicate, surtout dans les pays où sévit une pauvreté endémique. Ceci dit, quel discours peut tenir une religieuse ? Il est invraissemblable d’imaginer qu’il puisse être autre que la condamnation ! C’est à l’opposé même de tout principe fondamental religieux (et quelle que soit la religion, je pense en tous cas pour les religions monothéïstes), où domine le respect d’une vie qui est n’appartient pas à l’homme mais à Dieu. Votre article, interressant par ailleurs sur les idées relatives à la notion de charité, est malheureusement dominé par un discours anti-religieux qui ne lui permet pas une analyse objective départie de préjugés. C’est dommage !

    12 novembre 2003 à 10 h 29 min
  • toto Répondre

    Le 11/11/2003 Pierre Lance, pourquoi lis-je encore ces articles … Pour information, Mére Térésa officiait en Inde pays non Catholique. Donc son influence sur la naissance des enfants qu’elle soignait était inexistante, mais quand il s”agit de défendre une idéologie tous les mensonges sont bons. N’est-ce pas M. LANCE? Je respecte et admire Mére Térésa. Le monde que nous réserve M. LANCE est un monde cruel où le plus fort a toujours raison. Ce monde je le refuse et des gens comme mère Térésa, que M. LANCE n’aima pas, me laisse à penser qu’un monde meilleur peut exister. Son existance est une leçon d’espoir et d’amour. Cdlt.

    11 novembre 2003 à 15 h 15 min
  • leon leon Répondre

    Votre fin d’article est injuste , Mère Teresa a peut être dérapé par certains propos ( pour moi je ne pense pas c’est par tactique ) mais elle c’est sacrifié pour apporté un plus aux pauvres et c’est se qui compte . Si elle a dérapé dans un colloque internationnal certainement qu’elle a voulu faire passer un message de force car très peu de médias lui donnaient l’occasion de parler et là il y avait peut être des personnes qu’elle pensait capables d’apporter un plus ! D’autre part sommes nous capables d’écoutaient des messages de paix , solidarités j’ai des doutes ! salutations

    10 novembre 2003 à 9 h 56 min

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