Il est des procès qui infléchissent le cours de l’histoire, comme celui du collier de la reine ou l’affaire Dreyfus. L’affaire Clearstreamne produira sans doute pas un effet comparable,mais elle secoue la Sarkozie. Pour l’ensemble de la presse, la relaxe de Dominique de Villepin constitue un camouflet pour le président de la République.
A la veille du verdict, Le Figaro avait pourtant pris fermement position : pour Stéphane Durand-Souffland, dans le numéro daté du 28 janvier, Dominique de Villepin était évidemment coupable, même s’il était « mal aisé de déterminer l’étendue de ses mensonges. » Le juge n’a pas suivi les réquisitions du journaliste… Ni celle du Parquet, qui fait aujourd’hui appel.
Au début du procès, Villepin avait dénoncé l’« acharnement d’un homme », à savoir Nicolas Sarkozy, à son endroit. Le président de la République avait pris un gros risque en restant partie civile dans ce procès après avoir été élu ; Il ne le sera plus. Mais le mal est fait et la poursuite de l’affaire, avec l’appel du Parquet, lui est imputé.
Dans Libération du 30 janvier, l’ancien garde des Sceaux socialiste Robert Badinter, qui voit dans la relaxe de l’ancien premier ministre « une victoire de la justice » et une preuve de « l’indépendance » des magistrats, estime « évident que la décision de faire appel n’a pas été prise dans l’accord – sinon à l’initiative – de la Chancellerie et de l’Elysée. » Comme l’écrit l’éditorialiste du Monde du 30 janvier, « Le président de la République ne sera plus partie civile ; mais il reste à la manœuvre ».
Dominique de Villepin ne se fait pas faute de riposter. Le 29 novembre, sur le plateau du Grand Journal de Canal +, il a « porté des accusations d’une violence inouïe contre Nicolas Sarkozy, l’accusant de "duplicité" », rapporte encore Libération. « Son fidèle Georges Tron, d’ordinaire affable et mesuré, avait prévenu quelques heures plus tôt : "Maintenant, c’est Verdun. Ils veulent la guerre, ils l’auront! On est dans les tranchées, pour deux ans". »
Pour Cécile Cornudet, dans Les Echos du 29 janvier, le jugement « met en exergue les erreurs stratégiques du chef de l’Etat dans l’affaire Clearstream » et « transforme "l’accusé" Villepin en machine de guerre politique, qui fragilise sa stratégie électorale pour 2012. » Une réconciliation entre les deux hommes ne lui paraît pas envisageable.
« Dominique de Villepin, écrit-elle, (…) fera tout pour être candidat à la présidentielle de 2012. Qu’importe qu’il n’ait aucune chance de l’emporter, les quelques pourcentages de voix qu’il totaliserait pourraient suffire à faire perdre Nicolas Sarkozy. »
La rancune du président à l’encontre de l’ancien premier ministre pourrait donc lui coûter cher. Comme le constate dans son éditorial Le Monde du 30 janvier, « depuis mai 2007, chaque épisode de cette affaire abaisse davantage la fonction présidentielle. »
« Le roi de France ne venge pas les offenses faites au duc d’Orléans », répondait à Louis XII à ses courtisans qui le pressaient de punir ceux qui lui avaient nui avant son accession au trône. Nicolas Sarkozy n’est qu’un président de la République.
De Clearstream à la réforme de la justice
Petit effet, grandes conséquences ? Robert Badinter profite dans Libération des rebondissements de l’affaire Clearstream pour critiquer la réforme en cours de la justice, et se demande « comment imaginer », en cas de suppression des juges d’instruction, « que le procureur enquêtera "à charge et à décharge" dans une affaire d’Etat comme Clearstream, alors qu’il est sous la dépendance de l’exécutif dont il dépend pour sa carrière ».
Dans Libération également, Dominique Barella, magistrat et ancien membre du conseil supérieur de la magistrature, est plus direct : « Le procureur est totalement sous influence, il obéit aux ordres du ministre de la Justice, et donc du président de la République. Il n’a aucune indépendance, nous en avons la preuve encore une fois aujourd’hui », dit-il.
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