Quel est le rôle d’un ambassadeur ?

Quel est le rôle d’un ambassadeur ?

L’ambassadeur de France doit informer, protéger les citoyens ainsi que les intérêts français, et représenter son pays.

Pour ce qui est de son devoir d’informer, l’ambassadeur, chaque jour, et, lorsque la situation dans son pays de résidence l’exige, plusieurs fois par jour, expédie des télégrammes chiffrés au « Département », c’est-à-dire au Quai d’Orsay. Ces télégrammes, une fois décryptés par le service du chiffre, sont remis au ministre, aux services compétents du ministère, au Président de la République, plus précisément à la cellule diplomatique du Président, au Premier ministre, à certains autres ministres, dont celui des Armées, aux présidents des Commissions des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat.

C’est là que réside un premier problème car ces télégrammes, parfois très confidentiels, sont diffusés en un trop grand nombre d’exemplaires, avec les risques de fuite que cela comporte. Plus grave est la structure d’une partie importante de notre diplomatie. Je veux parler en premier lieu de la « Françafrique », mais pas seulement. Depuis l’époque du général de Gaulle, la politique étrangère de la France se fait à l’Élysée.
Or, il existe souvent des liens étroits de toute nature entre le président de la République et les chefs d’État africains, de l’Afrique du Nord et de l’Afrique sub-saharienne. On l’a bien vu, à la suite des événements de Tunisie et d’Égypte, ou en Afrique noire, en particulier au Gabon. Dès lors, l’ambassadeur peut se retrouver entre le marteau et l’enclume.

S’il décrit les faiblesses du régime, la corruption, l’incompétence, l’insécurité, l’Élysée et le Quai d’Orsay peuvent penser que l’ambassadeur est partial, qu’il n’est pas en bons termes avec le gouvernement du pays auprès duquel il est accrédité, bref qu’il manque de jugement. Alors, la conclusion s’impose : il faut le remplacer par un ambassadeur « compréhensif ». Dans un tel cas, l’ambassadeur trop franc est généralement placé en pénitence pendant longtemps, c’est-à-dire qu’il reste sans affectation, ignorant ce que sera son avenir.

Mais il y a pire. Il est arrivé qu’un télégramme confidentiel critiquant le comportement et la politique d’un chef d’État africain lui soit anonymement communiqué. Furieux, le chef de l’État africain en question décroche son téléphone et, appelant le président de la République à l’Élysée, lui dit sur un ton véhément : « Dis donc, président, ton ambassadeur, c’est un colonialiste. Je ne veux plus le voir. Tu le rappelles immédiatement. » C’est de cette mésaventure qu’a été victime notre ambassadeur à Dakar. N’étant pas de la carrière, mais en revanche prix Goncourt et de l’Académie française, ce médecin finira par s’en remettre, sans oublier pour autant l’aventure et le préjudice subi.

On comprendra aisément que si nos ambassadeurs à Tunis et au Caire avaient écrit que Ben Ali et Moubarak étaient en réalité profondément contestés et corrompus, ils n’auraient pas séjourné longtemps dans leur ambassade. Nos ambassadeurs sont ainsi pris entre l’impératif d’informer honnêtement et l’obligation d’entretenir de bonnes relations avec le personnel d’État du pays où ils ont été nommés – de jouer un double jeu, en quelque sorte.

Il faut dire aussi un mot de cas assez rares, mais qui se produisent parfois. Je veux parler de l’expulsion de diplomates par le gouvernement du pays où ils résident. Je connais un ambassadeur en poste dans un pays satellite de l’ex-URSS qui a été expulsé en 48 heures parce qu’il avait la réputation de ne pas être favorable aux régimes communistes. Il avait fait une réflexion rapportée en haut lieu, qui avait déplu. Il a été, à son retour à Paris, fort mal reçu au Quai d’Orsay, où la politique a été pendant longtemps plutôt complaisante avec la « grande Union soviétique ».

L’obligation de protéger s’impose, en premier lieu, aux consuls, mais aussi, bien sûr, pour les affaires sérieuses à l’ambassadeur. J’ai pour ma part assumé cette obligation lorsqu’en poste en Afghanistan, il m’a fallu pour obtenir la libération d’un journaliste français qui s’était fait prendre par les Soviétiques – il avait été dénoncé et vendu par de faux moudjahidins – négocier pendant 9 mois avec la branche afghane du KGB. Une fois libéré, ce journaliste a d’ailleurs raconté ses malheurs dans un livre : « Un grain dans la machine » chez Robert Laffont. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans ce type de négociation avec les Soviétiques, il existait une sorte de règle du jeu. Le KGB de Kaboul dépendait évidemment du KGB de Moscou. On parlait sans doute dans des conditions difficiles, mais un certain dialogue s’instaurait, alors que, dans les cas d’enlèvement de nos compatriotes par les islamistes, faute d’interlocuteur connu et crédible, il est quasiment impossible de dialoguer. De plus, ce que recherchent avant tout les islamistes, c’est la rançon.

Enfin, l’obligation de représenter, c’est-à-dire essentiellement de recevoir. Dans certaines ambassades, les grandes ambassades comme on dit, cette obligation est quotidienne, tous les jours de la semaine, dimanche compris, matin et soir, on est invité ou l’on invite. Nos ambassadeurs à Tunis et au Caire reçoivent des visiteurs en permanence, politiques, culturels, etc. qu’il faut nourrir et distraire. À Bruxelles, c’est pire encore, comme à Washington, à Berlin ou à Pékin. L’ambassadeur doit être un maître d’hôtel et l’on entend que sa cave soit bonne et bien garnie.

Je terminerai ce panorama en faisant état de l’insécurité dont les ambassadeurs sont parfois les victimes, notamment dans certains postes au Moyen-Orient et en Afrique. L’un de nos ambassadeurs a été assassiné à Beyrouth par les Syriens. Un autre a été tué dans son ambassade à Kinshasa. Un autre encore a été violemment frappé à Braz­zaville. Pour ma part, en Afghanistan, les moudjahidins ont honoré mon ambassade à Kaboul d’une roquette de gros calibre. Ils visaient le palais du secrétaire général du PC afghan, mitoyen de notre ambassade, mais la Providence m’a protégé ce qui me permet de témoigner aujourd’hui…

On comprendra donc qu’on est bien loin du temps où Gustave Flaubert faisait dire à Madame Bovary : « Les diplomates mènent une existence au-dessus des autres, dans une atmosphère vermeille comportant quelque chose de sublime » !…

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Comments (1)

  • SCHAEFFNER Répondre

    Merci à M. Christian Lambert pour son témoignage qui émane d’un homme qui sait de quoi il parle ayant été lui même ambassadeur.

    Ah, s’il pouvait y avoir une majorité de français dotés de son bon sens et de sa clairvoyance !!!

    6 mars 2011 à 12 h 04 min

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