Tocqueville, l’armée et les guerres américaines

Tocqueville, l’armée et les guerres américaines

L’Amérique est en guerre perpétuelle depuis 1941, et on peut considérer qu’auparavant elle n’était pas en reste, qu’il s’agît de déclarer la guerre à l’Espagne impotente pour lui voler Cuba et les Philippines, d’intervenir de manière récurrente en Amérique centrale ou dans le Pacifique ; ou bien de l’incapacité résolue de Roosevelt de résoudre la crise de 1929, jointe à l’évident désir de répandre la croisade démocratique (mais pourquoi en veut-on à Claude Guéant ?), histoire de justifier l’entrée dans la deuxième guerre mondiale. En imposant l’embargo sur le pétrole au Japon, les Etats-Unis voulaient provoquer un Pearl Harbour que leur intelligence avait d’ailleurs prévu, et qu’ils laissèrent faire.

L’existence de l’union soviétique tempéra quelque peu cette ardeur au combat ; mais depuis la chute de l’URSS, on ne se retient plus. Dans les années 80, les budgets militaires explosent en même temps que les déficits ; on conçoit la ridicule guerre des étoiles, substitut à l’impuissance de persévérer dans la conquête spatiale, et dans l’ombre on finance, on manipule, on crée une armée innombrable et plus moderne, toujours plus coûteuse.

C’est le moment de relire Tocqueville (*), au lieu de citer son nom :

Car la même agitation d’esprit qui règne parmi les citoyens d’une démocratie se fait voir dans l’armée ; ce qu’on y veut, ce n’est pas de gagner un certain grade, mais d’avancer toujours. Si les désirs ne sont pas très vastes, ils renaissent sans cesse.

Tocqueville développe un long passage sur l’avenir des guerres démocratiques qui n’ont cessé d’agiter les siècles récents. Pour lui, un peuple démocratique est long à sortir de la guerre, s’il est long à y entrer. Car il crée une clientèle de la guerre, avatar de l’économie de services dont on nous a rebattus les oreilles depuis la désindustrialisation forcée.

Un peuple démocratique qui augmente son armée ne fait donc qu’adoucir, pour un moment, l’ambition des gens de guerre ; mais bientôt elle devient plus redoutable, parce que ceux qui la ressentent sont plus nombreux.

Depuis quinze ans, les USA dépensent la moitié du budget militaire mondial, cherchant systématiquement, çà et là, un « rogue state », pour reprendre l’expression de l’impayable Albright, à corriger. Cette agitation est allée de pair avec l’explosion de s budgets militaires et les besoins d’une hiérarchie désireuse de guerres. L’outil crée sa fonction, et l’armée son conflit. On conçoit qu’alors les militaires américains ne s’arrêtent pas plus que le Tom Cruise de Collateral qui ne peut cesser de tuer – et donc meurt – que lorsque son chargeur est vide. En Afghanistan ou ailleurs, il leur faut toujours plus d’hommes et de moyens. Comme s’il s’agissait de syndicats de fonctionnaires bien français…

Tous les ambitieux que contient une armée démocratique souhaitent donc la guerre avec véhémence, parce que la guerre vide les places et permet enfin de violer ce droit de l’ancienneté, qui est le seul privilège naturel à la démocratie.

On comprend alors pourquoi on a besoin de terrorisme, de tyrans, de « bad guys », de menaces visibles et invisibles, de toutes ces choses. C’est comme pour la vache folle ou la grippe A. il ne faut pas baisser la garde, et surtout pas les donations en argent. L’Amérique a besoin de la guerre comme le malade de son psychanalyste ; et c’est surtout parce que le soldat a besoin d’un ennemi, et le psychanalyste de son client.

Les Etats-Unis ont laissé détruire toute leur industrie pour satisfaire aux exigences des marchés financiers : mieux vaut un peuple ruiné qu’un actionnaire mécontent. C’est la règle du post-capitalisme, même si les actions sont moins chères qu’il y a quinze ans. Mais ils ont développé une industrie de guerre dont ils ne peuvent plus se passer, celle que Tocqueville, avec son génie visionnaire habituel, pressent, non sans quelque inquiétude toutefois :

La guerre, après avoir détruit toutes les industries, devient elle-même la grande et unique industrie, et c’est vers elle seule que se dirigent alors de toutes parts les ardents et ambitieux désirs que l’égalité a fait naître.

La gesticulation militaire, remarquait l’excellent Olivier Todd, est l’apanage des empires agonisants. Ils commettent souvent le geste irréparable. Gageons qu’avec le prix Nobel de la paix Obama, à la recherche d’un nouvel alibi en Libye, nous arrivons en bout de course.

Nicolas Bonnal

(*)De la démocratie en Amérique, tome II, troisième partie, chapitres XXII, XXIII et XXIV.

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Comments (5)

  • titin Répondre

    "Depuis la 1ère guerre mondiale , chez les Européens,le pacifisme, la mort de l’héroisme d’où la justification de  la collaboration "  d’après Small Bartholdi

    A moins que les Allemands ,les Espagnols et les Italiens,pour ne pas parler   des Russes, n’aient pas été des Européens ,on ne  peut pas dire que le culte de l’héroisme n’ait pas été développé chez les nazis,franquistes et  fascistes et mis à exécution chez les deux premiers de manière remarquable.  .

    Quant au pacifisme ,arriver à vouloir aller mourir pour Dantzig au point de déclarer la guerre  à l’Allemagne et chez certains du côté de la collaboration d’ envisager un renversement des alliances en entrant à nouveau  dans le conflit,drôle de pacifisme, même si c’est vrai, la masse du peuple  français n’était guère chaleureuse dans les deux cas,pensant avoir déjà beaucoup donné une vingtaine d’années plus tôt..

    Par contre, il est vrai que les Européens décadents  et émasculés par le féminisme ne feront pas plus aujourd’hui la guerre que ne la firent les Romains du Bas Empire.

    Et que s’ils la font,il suffit de voir sur les images d’Afghanistan, les troupes de l’Otan supplétives des Américains, en surcharge pondérale,biceps gonflés aux stéroides;venant mourir exténuées en haut d’un djebel en traînant casque lourd et gilet pare -balles quand  nous crapahutions en casquette et quelque fois en short en Algérie,et les visages de loup maigre comme les aimait le père Bigeard,des combattants afghans, pour comprendre l’inégalité de la lutte..

    4 avril 2011 à 1 h 56 min
  • grepon Répondre

    L’Amérique a besoin de la guerre comme le malade de son psychanalyste ; et c’est surtout parce que le soldat a besoin d’un ennemi, et le psychanalyste de son client.

    Nuance:   Ce qui vrai sur le terrain, c’est que le psychanalyste a besoin de la maladie de son client.    Il ne cherche nullement a faire disparaitre la maladie, et cet attitude defraudeur du client est meme batie dans la theorie et pratique de la psychanalyse.

    Pour ce qui en est de l’amerique et la guerre et l’Europe, mais bon sang il se trouve que dans mainte cas, la guerre(europeen) avait besoin de l’amerique.     Le premier et deuxieme guerres mondiales ont ete tres largement des faits europeens(le guere du pacifique aurait ete regle bien plus vite sans votre guerre psychotique en Europe, qui ete prioritaire.)    

    Les guerres de l’ex chequoslavikia?     Encore une guerre civile europeen dans laquelle la guerre avait en fin de compte besoin de l’amerique.   

    Mais il y avait aussi la guerre froide.   Qui allait opposer le totalitarianism communiste et ses agressions?    On va me dire que l’Amerique a cherche ca plus que l’URSS a chercher a se donner a l’expansionisme?   

    Les rogue states, justement, cherchaient l’attention qu’ils ont recu, coup par coup.    Saddam Hussein a envahi quand meme Kuweit, un pays de l’ONU(instance suppose pouvoir regler ce genre de choses) et comme resultat, la guerre est venue ENCORE chercher les Etats-Unis, car elle..le fait de la reaction de l’ONU..avait appele les Etats-Unis, et nullement le contraire.    

    Maintenant dans le cas du Libye, mais bon sang, la encore la France voulait entrer dans la guerre, mais leur guerre avait besoin…de nous, la encore.     BHL a brilliamment influence Sarkozy et Sarkozy a brilliamment manipule l’administration Obama, et voila que l’Amerique est entre dans la guerre de premier pour faire le boulot du degommage des defense aerienne de la Libye, chose pas sans risques pour la France, mais quasiment sans risques pour les Etats-Unis.   Voyez, nous sommes tres bien preparees pour la guerre parceque la guerre, le fait de veritables mecreants faisant ce qu’ils font, vient tres souvent nous chercher, de par nos engagements multilaterale et alliances qui existent pour rendre l’Europe "safe for social democracy" pour paraphraser Wilson.

    Ne me raconter pas que, dans l’avenir L’Europe, par moyen de l’OTAN  ou l’ONU, ne fera pas venir l’amerique encore participer "kinetiquement" dans des guerres dans lesquelles quelques etats ou boites europeen ont des affaires de l’ordre de leur interets propres.   Il y avait des cas contraire, rarissime, qui font preuve de la regle generale:  Prennons les mesquineries dangeureuse de ChiraK et de Villepin lors des debats a l’ONU pour mettre enfin des dents dans les maintes violations de proclamation de l’ONU par le regime de Saddam Hussein.    Les interets financiere et commericiale des etats europeens jouent un role premier plan pour politiciens europeens, quand au besoin des Etats-Unis dans telle ou telle guerre deja en cours ou a venir tres bientot.    Et oui, l’operation Desert Storm a ete en mode pause lors des mesquineries francaise, et les Etat-Unis ont ete engage couteusement lors de la longue pause par l’ONU  pour enforcer "no-fly" zones, et bombardements ponctuelles etc lors du programme "Food for Oil" , programme si beneficiale au regime de Saddam et au campagnes electorale et compte bancaires de divers politiciens europeens et de l’ONU.   

    J’en passe et des meillieurs, mais le point reste que dans toute un tas de guerres dans lesquelles l’amerique s’est trouve "kinetiquement" active, la guerre est venu nous chercher, de par nos engagements, et plus recemment parce que nous sommes presque les seules dans le monde libre a rester preparer pour proteger les ideaux de la liberte et dignite humaine contre tyrannies diverses.     La  France et les francais devrait reflechir a leur attitude infantile et de pacificiste faux-cul pour ne pas trop chier les americains.   Ca use sur le temps, et il se peut qu’il aurait un moment ou la France aura ENCORE un besoin existentielle(c.a.d. pour continuer a vivre, point barre) des Etats-Unis.    Une guerre pour la survie de la France pourraient avoir besoin de l’amerique, et ce serait bien plus que chiant pour vous si l’amerique aurait change son attitude envers la geurre entre temps.

    3 avril 2011 à 15 h 30 min
  • SMALL BARTHOLDI Répondre

    Faire la guerre, même régulièrement, n’est pas le privilège des démocraties. Les monarchies des Bourbon ou des Stuart ne s’en privaient pas, sans parler des diverses dictatures du XXe siècle. Les USA, puisqu’il est question d’eux, ont longtemps été isolationnistes et pacifistes face à une Europe qui passait son temps à vouloir s’entredéchirer. On pourrait multiplier les exemples.

    La mythologie guerrière est aussi ancienne que l’Occident, trouvant sa source vive dans L’Iliade. Les Européens ont toujours su respecter cet héritage, dévelopant les premières notions de l’héroïsme. De nos jours, ce ne sont pas les Américains qui constituent une bizarrerie mais bien les Européens. Depuis la 1ère Guerre Mondiale, ils ont basculé dans un pacifisme intégral qui a mis à mort la notion d’héroïsme et a justifié 4 années de collaboration…qui explique beaucoup des choses qui se passent aujourd’hui. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, l’évolution aberrante est à observer du côté des Européens qui ont littéralement renié leur histoire. L’intervention en Libye n’a rien d’une guerre, c’est une intervention humanitaire, donc son contraire. Les Européens ne feront plus jamais la guerre. Et en assumeront toutes les conséquences.

    3 avril 2011 à 9 h 52 min
  • titin Répondre

    Excellent article.

    N’oublions pas la guerre navale non déclarée avec la France en 1798 ,merci pour la gratitude,celle avec l’Angleterre en 1812 pour s’emparer d’une partie du Canada et celle de 1848 avec le Mexique qui permit l’annexion des états du Sud-Ouest.

    3 avril 2011 à 1 h 03 min
  • ozone Répondre

    Comportement normal d’une nation née avec le génocide des peaux rouges.

    Le keynessianisme militaire est devenu loi économique comme le craignait Eissenhower,

    2 avril 2011 à 21 h 25 min

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